Qu'il soit en panne d'inspiration ou un tantinet procrastinateur, Peter Gabriel a au moins la bonne idée de rafraîchir son répertoire quand il décide de le revisiter.

Quelque 12 700 fidèles montréalais étaient venus au Centre Bell pour l'entendre jouer So, son album classique de 1986, comme d'autres vont applaudir Roger Waters qui reprend The Wall. Une tâche dont Gabriel s'est acquitté correctement. Mais c'est surtout en début de soirée qu'il a été à la hauteur de sa réputation d'artiste qui s'est souvent réinventé.

Accueilli comme un héros local, il a annoncé une chanson inachevée - qui l'était en effet - avec la complicité du bassiste Tony Levin, ovationné comme l'ont été par la suite ses autres compagnons de route d'il y a un quart de siècle. Une chanson dont le chanteur marmonnait le texte comme une enfilade de sons, un langage qu'il a baptisé «gabrielese».

Dans ce segment quasi unplugged, Gabriel s'est amusé à relire différemment quelques-unes de ses chansons de toutes les époques. Avec l'accordéon de David Sancious en lieu et place des synthés imitant le son d'une cornemuse, Come Talk To Me, plus américaine que britannique, gagnait en beauté ce qu'elle perdait en grandiloquence. Par contre, Shock The Monkey, dont la rythmique reposait sur le piano de Gabriel et de deux guitares acoustiques, avait perdu de son mordant. Grâce à l'orgue de Sancious, Digging In The Dirt avait retrouvé le soul qui lui faisait cruellement défaut dans sa version symphonique de 2010.

C'est devenu progressivement plus électrique et on a pu apprécier pleinement la richesse de ce groupe de musiciens doués. Les clins d'oeil au passé se sont multipliés: Gabriel, Levin et David Rhodes qui jouent les derviches tourneurs pendant The Family And The Fishing Net, certes pas la plus commerciale des chansons, mais qui a dû réjouir les fans nostalgiques d'un rock savant qu'on a déjà qualifié de progressif. Pendant No Self Control, jazzée par le piano électrique de Sancious, Gabriel-le-théâtreux a effectué quelques pas de danse un peu ridicules avant d'être attaqué par les tentacules menaçants du dispositif d'éclairage.

La salle s'est levée d'un bond dès les premières mesures de la joyeuse Solsbury Hill, mais le plat de résistance est arrivé après un peu plus d'une heure de spectacle. Ce fut So, lancé par la toujours prenante Red Rain, saluée par une clameur, puis Sledgehammer, qui n'a pas si bien vieilli. Don't Give Up a été joliment rendue par une Jennie Abrahamson dont le timbre rappelait celui de Kate Bush, mais les grands succès de So, que Gabriel a joués et rejoués au fil des ans, ont perdu un peu de leur fraîcheur.

Et malgré le plaisir évident de réentendre un album de haute tenue, c'est surtout dans la première moitié de ce concert de plus de deux heures que Gabriel a transcendé la nostalgie.