Robert Glasper, pianiste et claviériste prodigieux, brillant compositeur, réalisateur inspiré et leader d'ensemble aguerri, m'avait plutôt déçu lors de son passage attendu au Gesù en 2010. Sauf peut-être le premier des trois soirs au programme du Festival international de jazz de Montréal, ce «triptyque» s'était avéré quelconque, particulièrement au cours de cette soirée poche où le chanteur Bilal était supposé nous introduire dans l'antre soul-jazz du virtuose afro-américain.

Partie remise, donc. Ce vendredi au même Gesù ? On peut dire sans ambages que Glasper a fait oublier cette séquence montréalaise préparée à la va vite : près de deux heures de haute tenue auxquelles on était en droit de s'attendre. Sauf quelques excès de vocoder côté voix, sauf quelques courts passages à vide, les fans de Robert Glasper en ont pris amplement dans la gueule pour alimenter leurs souvenirs.

Le Robert Glasper Experiment a amorcé le concert sur Fall, thème fabuleux composé par Wayne Shorter pour le non moins fabuleux album Nefertiti de Miles Davis. On a eu tôt fait de réaliser qu'il ne s'agissait que d'un ancrage historique pour ce qui allait suivre: suite généreuse de fondus enchaînés à l'intérieur de laquelle le quartette a suggéré la vision glasperienne d'un jazz résolument actuel qu'il n'hésite pas à tremper dans la soul/hip hop.

Ainsi, ce continuum sans pause (ou presque) nous a permis d'apprécier au plus haut point les fabuleuses capacités techniques de Glasper et la cohésion qu'il suscite avec ses musiciens. On aura applaudi Mark Colenburg, superbe batteur de jazz funk capable de transcender les découvertes rythmiques des machines hip hop. On adressera un peu moins d'éloge à Derrick Hodge, bassiste jazz funk certes très solide...  sans qu'on puisse y repérer des qualités phénoménales - enfin pas cette fois. Casey Benjamin, lui, ne passe pas inaperçu : saxophoniste alto et soprano féru de filtres qui en transforment parfois les sonorités, aussi bidouilleur de claviers portatifs et chanteur obsédé par le vocoder... franchement, je conclus à un usage abusif de la voix ainsi transmutée artificiellement. Quant à Glasper, on n'a pu contempler que quelques exemples de ses innovations pianistiques bien que suffisantes dans un contexte où  l'interaction était (au moins) aussi importante que la performance individuelle.

En tout cas, il y avait lieu d'être ébloui par ces solos de claviers dégainés en quatrième vitesse sur des thèmes lents. Par l'influx de multiples sonorités de synthèse dans un tel concert de musique improvisée. Par l'usage de thèmes mélodiques connus (Butterfly de Herbie Hancock, un des mantras glasperiens), de chansons originales et reprises entièrement revisitées, dont Fall In Love de Slum Village ou Cherish The Day (de Sade, interprétée par Lalah Athaway sur le nouvel opus Black Radio de Glasper, mis en vente mardi prochain sous étiquette Blue Note).

Et quelle version jazzy soul de Smells Like Teen Spirit mes amis ! À elle seule, cette séquence valait le détour.