Rien ne nous avait préparé à la très belle soirée passée en compagnie de Sting samedi au Centre Bell. Accompagné de ses musiciens et du Royal Philharmonic Concert Orchestra de Londres, sous la direction du très exubérant Steven Mercurio, l'artiste de 58 ans a donné le concert qu'on n'espérait plus après celui, décevant, de 2004 où Annie Lennox lui avait volé la vedette, et les trois autres avec The Police qui n'étaient pas à la hauteur de la légende du trio.

Mes attentes n'étaient pas très élevées, surtout après avoir écouté  son nouvel album Symphonicities, à demi convaincant, où il revisite son répertoire avec un grand orchestre. Heureusement, les rares ratés du concert - Every Little Thing She Does Is Magic et King of Pain en manque du oumph! que leur procurait la batterie de Stewart Copeland et quelques chansons de Sting-le-crooner dont la banalité était accentuée par un accompagnement digne d'une musique de film - ont été éclipsés par les nombreux bons moments auxquels ont eu droit les 9414 spectateurs pendant plus de deux heures de musique, entrecoupées d'un entracte.

Sting était en voix et en verve. Comme si le fait de se consacrer presque exclusivement à son rôle de chanteur - c'est à peine s'il a joué un peu de guitare, de l'harmonica et du tambourin - lui permettait de se raconter comme il ne l'a jamais fait auparavant, multipliant les anecdotes sur sa vie et sur les circonstances qui ont donné naissance à ses chansons. Russians, nous a-t-il dit, lui a été inspirée par les émissions pour enfants de la télé soviétique qui annonçaient déjà la fin de la guerre froide. Nos ennemis idéologiques actuels n'ont malheureusement pas la même humanité, a ajouté en substance l'artiste jamais à court d'opinions. Cette Russians valait à elle seule le prix du billet avec son intro orchestrale méconnaissable, tout en puissance, et la voix de Sting, remarquable, qui survolait les nappes de cordes. Le public s'est levé d'un trait pour l'acclamer longuement.

On se doutait un peu que Moon Over Bourbon Street, une autre pièce de son premier album solo qui, curieusement, n'est pas non plus du disque Symphonicities, se prêterait bien au traitement symphonique. C'était encore mieux que prévu : une version réinventée, très cinématographique dans le sens évocateur du terme, avec Sting l'acteur-chanteur qui ajoute à l'ambiance en jouant du theremine et en hurlant comme un  loup-garou pendant que les trois écrans mobiles suspendus au-dessus de la scène montrent la silhouette menaçante d'un personnage de film d'horreur.

Parmi les autres moments forts, mentionnons l'envoûtante Desert Rose, superbement servie par les cordes arabisantes et le percussionniste marocain Rhani Krija, qui a fait danser spectateurs et musiciens; et deux réussites du disque, la country I Hung My Head et The End of the Game qui, même si elle est moins connue, a fait lever toute la salle. L'énergie punkisante de Next To You, de The Police, était étonnamment bien rendue par les cordes en folie de l'orchestre. On ne peut en dire autant de Roxanne, au carrefour du symphonique et de la danse sociale, jouée tôt dans la soirée et applaudie beaucoup plus timidement qu'à l'habitude. Classique pour classique, Every Breath You Take était beaucoup plus convaincante parce que plus proche de l'esprit de la chanson d'origine.

Sting nous a laissés sur une version a cappella de la première partie, à saveur médiévale, de sa chanson I Was Brought To My Senses. Comme pour nous rappeler que quel que soit l'enrobage musical, c'est encore et toujours cette voix qui le distingue de tous les autres qui pratiquent le même métier.