Lorsque le nouvel album d'Owen Pallett a été rendu public au début de janvier, je me suis passé la remarque : dans quelques années, certaines trouvailles de ce jeune trentenaire auront fait école. Depuis, j'ai maintes fois écouté Heartland (étiquette For Great Justice), non sans fascination pour son créateur. Je me suis d'ailleurs repassé la même remarque samedi soir, malgré une certaine déception au sortir du Théâtre Outremont.

Scène peu habitée, performance peu incarnée, impression de froideur clinique par moments, petites émotions au service de grandes idées. Tout est question de contexte, il faut dire à la décharge de celui qui a abandonné son nom d'artiste (Final Fantasy, également le titre d'un jeu vidéo archiconnu) et repris son nom véritable. À la 5e salle de la Place des Arts, à la Sala Rossa, à l'Astral, au Club Soda c'aurait pu le faire. De moins en ce qui me concerne, dois-je préciser; le public a semblé apprécier vachement Owen Pallett, surtout vers la fin de sa prestation.

Je demeure néanmoins très enthousiaste quant à qualité des arrangements de son album excellent. Il y induit un discours orchestral beaucoup plus étoffé qu'un concept d'échantillonnage en direct, aussi synchro soit le concept. Sur scène, je voyais déjà un orchestre hybride: cordes, bois, cuivres, machines numériques, instruments électriques pour rendre ce que j'avais entendu dans mon ordi et ma chaîne hi-fi. C'était trop demander: le succès d'estime ne s'étant pas encore transformé en argent sonnant, Owen Pallett n'a probablement pas encore les moyens de se payer un tel ensemble, il doit donc s'en tenir à une orchestration plus modeste sur scène, quoique rigoureuse et brillante. On peut le comprendre mais...

Sur la scène d'un théâtre cette taille, la réduction de l'expérience studio m'a franchement dérangé. Deux hommes (l'autre étant Thomas Gill) pour nous balancer toute cette substance? Quelques machines, claviers, percussions, guitare et violon? C'est tout? Tout est une question de contexte, dois-je insister... À l'Outremont, en tout cas, ça ne m'a pas semblé fonctionner à souhait.

Artiste indépendant d'esprit, Owen Pallett vient de récolter une pléthore de louanges. Et pour cause: son électro-musique-de-chambre innove, notamment pour la rythmique de ses phrases (entre autres ces arrangements exécutés beaucoup plus rapidement que la mélodie qu'ils soutiennent), l'étendue des dynamiques, l'intensité de ses crescendos, la singularité de sa lutherie.

Violoniste autodidacte, compositeur de formation, pianiste, claviériste, arrangeur (il a joué un rôle important dans la construction de l'édifice orchestral d'Arcade Fire), parolier, chanteur, performer. Récipiendaire en 2006 du premier Polaris, soit le prix le plus prestigieux au Canada en matière de pop de qualité, l'artiste torontois fera encore parler de lui au cours des mois et années qui viennent. Très doué, cet Owen Pallett. De surcroît, admiré par des milliers de jeunes gens de sa génération. Son profil androgyne, ouvertement gay, sa voix de presque contre-ténor est en phase parfaite avec la rigueur, la complexité et la singularité de son imaginaire artistique.

Sa grande contribution, en ce qui me concerne, n'est pas tant d'avoir fait des chansons qui s'impriment dans le cortex que de leur avoir conféré des emballages inédits, totalement originaux. C'est là que ça se passe.

Bien sûr, Owen Pallett peut impressionner son public pop avec le procédé de l'échantillonnage en direct. Comme me le faisait remarquer un collègue à l'Outremont, très peu de musiciens associés à la pop culture atteignent un tel résultat en temps réel. Ainsi, l'artiste peut proposer un motif au violon joué en direct, assurément difficile à réaliser techniquement. Il échantillonne alors ce motif, en joue un deuxième pendant qu'il interprète la chanson. Puis vient un autre riff de violon que Thomas Gill complète aux guitares, percussions et autres cossins. Voilà qui épate assurément la galerie.

Très futé, tout ça. Très intelligent, très créatif, unique... Pour les viscères, pour le bas-ventre, les couilles, les tripes sur la table, cependant, il me faudra repasser. J'y compte bien. Un tel talent doit être suivi de très près.