Devenue Christine and the Queens au début de cette décennie, Héloïse Letisser a été l'une des premières artistes de la nouvelle pop française à surfer sur la vague queer... des deux côtés de l'Atlantique. Rappelez-vous ses excellents shows au Métropolis en 2015 et en 2016, rappelez-vous ses interviews éclairantes sur son approche musicale, son personnage sur scène, sa fluidité sexuelle.

Christine and the Queens aurait pu être un phénomène passager du queerisme pop au féminin, perdu dans la brume des Janelle Monáe, St. Vincent et autres Anna Calvi. Elle fait ici mentir les prédictions d'une vie artistique éphémère et lance un très ambitieux projet bilingue : 23 chansons autoréalisées sauf exception. Son accent (très) prononcé en anglais n'est visiblement pas un élément irritant à l'heure où l'anglais se créolise sur la planète, en témoignent les critiques délirantes des médias britanniques et américains.

La chanteuse, parolière et beatmaker se donne ici un genre androgyne. Au seuil de la trentaine, Christine and the Queens devient Chris, s'amuse avec les codes de l'identité sans pour autant renier sa féminité sociale ou biologique. Nouveau phénomène ? Sans vouloir faire dans le «mononkisme», rappelons à nos jeunes lecteurs que cette pratique existe depuis David Bowie, depuis le glam rock, l'électro-pop et la new wave. Or, la période actuelle dévoile cette pratique de plus en plus généralisée, et Chris serait en train d'en devenir une figure majeure.

Qui plus est, elle a des références. Elle kiffe la soul pop, la synth pop, le g-funk, l'électro funk, la chanson française de qualité; elle sait amalgamer trois décennies de groove anglo-américain et de pratique chansonnière. 

Elle sait surtout apporter une touche de neuf à ses réalisations, sans pour autant bousculer les codes musicaux de la pop, gage de... popularité. Le galbe synthétique de ses chansons, l'amalgame de logiciels, machines neuves et vintage, l'abondance d'accroches mélodiques, la qualité des pistes vocales et la singularité du personnage sont autant de facteurs de sa propulsion, bien au-delà des ciels francophones.

Force est d'observer que les fleurs à l'endroit de Chris viennent aussi avec le pot. Médias français de référence et médias sociaux ont rapporté les interrogations d'une vidéo produite par L'Obs sur un possible plagiat:

«Le dernier tube de Chris, Damn, dis-moi, est sous les feux des critiques. Des internautes l'accusent d'avoir plagié une boucle, disponible en libre de droit sur le logiciel de composition musicale Logic Pro, créé par Apple. D'un aspect juridique, l'attaque de "plagiat" n'est donc pas recevable. En revanche le travail apporté sur cette mélodie, pour en faire le tube Damn, dis-moi, peut être éthiquement discuté.»

Alors? L'usage d'une matière sonore libre de droit permet effectivement de reconstituer des riffs relativement prévisibles... qui peuvent se retrouver dans de multiples chansons pop sans que l'on s'en formalise. D'autant plus que... pour Damn, dis-moi, Chris a fait appel au compositeur et réalisateur californien Dâm-Funk, le mix a été piloté par l'ingénieur du son guatémaltèque Manny Marroquin, autre pointure des studios à Los Angeles. Ces pointures auraient-elles accepté cette tricherie présumée?

À l'ère numérique, le débat sur le plagiat d'une suite de trois accords ou d'une ligne mélodique est devenu carrément ridicule, dans la mesure où la musique pop, tous genres confondus, ne cesse de puiser dans un univers mélodico-harmonique limité. Accords, lignes mélodiques et instruments similaires servent à ériger de simples charpentes relativement similaires. La singularité de la pop se trouve ailleurs (textures, mix, traitement de la voix, textes), il se trouve encore des retardataires n'ayant pas pigé l'affaire.

À L'Obs, la principale intéressée s'est défendue de plagier en usant de tels logiciels libres pour la préproduction, une pratique courante dans toutes les musiques pop usant des nouvelles technologies.

«On se permet de douter que je puisse être auteur et producteur parce que je suis une femme», a-t-elle argué avec raison. On a beau se donner un genre...

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POP. Chris. Christine and the Queens. Because Music.