Le cinquième album studio d'Arcade Fire sera officiellement rendu public le 28 juillet, mais... On connaît la bête de promo virale, il n'y a pas lieu de s'étonner qu'on laisse un mois d'attente pour faire monter les oeufs en neige, et ainsi laisser macérer les fans dans leur salive après l'hypermédiatisation de son contenu.

D'ici là, voici ces impressions à chaud de cet Everything Now!

On doit sa coréalisation à Arcade Fire et à des figures connues: Thomas Bangalter (Daft Punk) et Steve Mackey (Pulp) ont été les principaux architectes embauchés par le supergroupe montréalais, auxquels se sont joints sporadiquement Geoff Barrow (Portishead) et Markus Dravs (collaborateur de productions antérieures sous la bannière AC). Plusieurs des musiciens invités sont des amis de longue date - on pense d'abord à Owen Pallett et Sarah Neufeld, auxquels se greffe un florilège de bardes compétents tel Daniel Lanois (au pedal steel sur quelques pistes).

Alors?

Les déclinaisons stylistiques d'Everything Now sont certes fines et variées, les réalisations y sont rigoureuses, on reconnaît les accroches typiques d'Arcade Fire, sans pour autant se trouver sur le cul. Si l'on cherche une nouvelle avancée esthétique, un tournant majeur, on peut être déçu.

Très bien construites, ces chansons référentielles plairont assurément aux fans et... les têtes chercheuses d'innovations formelles estimeront que le vaisseau de Win Butler, de Régine Chassagne, de Richard Reed Parry et de leurs collègues a atteint sa vitesse de croisière. Quoique... la croisière est tumultueuse.

On en ressent les secousses du début à la fin. L'urgence et la créativité, cette fois, se trouvent davantage dans le propos que dans les sons.

«I'm in the black again / Not coming back again»... Tel est le premier énoncé de Win Butler, couché sur un sombre et inquiétant tapis de cordes et de fréquences de synthèse. Ainsi démarre l'introduction de l'opus, qui fait également office de conclusion.

À l'ère paradoxale du grand vide et de la surabondance, la chanson Everything Now évoque notre époque trouble et inquiétante, sa facture euro-pop à la ABBA contraste de gaieté et d'entrain, le tout orné de flûtes et de chants pygmées. La relative banalité et l'optimisme apparents de cette musique portent un texte sombre, annonciateur d'une grande noirceur.

Ainsi donc, la croisière s'amuse malgré la tempête qui se lève: on est convié à se trémousser sur le pont, étourdis par le beat disco-dance-punk de la chanson Signs of Life. De nouveau, le texte s'oppose à la musique; on y dresse un portrait de l'inconscience, de l'égarement, d'un passé révolu, une civilisation qui s'étiole. Love is hard sex is easy, on s'en doute bien, le pont du navire est recouvert de mégots et de cendres.

Creature Comfort enfonce le clou dans l'inconfort sociétal et la détresse psychologique. Automutilation, ressentiment, tentation suicidaire, autodénigrement du corps et de l'esprit. Jeunes humains sans perspectives, sans estime d'eux-mêmes, contraints aux dérives existentielles. Leur souhait, dit la chanson, est d'engourdir le mal de vivre... «just make it painless». L'esthétique synthwave et le rythme résolument binaire accentuent ce monde des âmes accidentées.

Peter Pan est un dub rock saturé cuisiné à la sauce Arcade Fire, avec quelques aromates new wave non sans rappeler Talking Heads. Dans les rêves du narrateur, il y a l'angoisse de perdre l'autre, il y a également la rédemption, l'éloge de la fuite et de l'oisiveté. Il y a surtout cette incapacité d'accueillir l'amour en soi vu ce mal incurable. «Men and women keep growing their cancers...»

Nous voilà en train de sautiller sur un petit groove vaguement polka reggae, vaguement Prince; Chemestry évoque la dialectique dure entre deux partenaires qui s'attirent et se repoussent. Leurs liens fragiles peuvent être pulvérisés à tout moment. Sans trop y croire, le narrateur essaie de convaincre l'autre de leur «chimie» relationnelle. Cause toujours, mon lapin...

Infinite Content se décline en deux temps. La première partie est punk rock, la plus violente et aussi la plus puissante de l'album. On y ironise sur ces contenus illimités (sur le web, on l'imagine) qui vident les poches et gonflent de calories vides l'imaginaire collectif. Le second volet de cet Infinite Content se veut rassurant; le rythme clopin-clopant et les styles country et lounge n'altèrent en rien le cynisme du texte. «We got infinite content / Infinite content / We're infinitely content...»

La croisière se poursuit sur un air synthpop et funky, tempo moyen, voix haut perchée de Régine; Electric Blue nous téléporte dans la dystopie d'un monde féminin où les écrans bleutés faussent la vision et produisent d'étranges mirages. Toutes ces filles qui rêvent de l'amour vrai et pérenne ne font-elles pas preuve d'aveuglement volontaire? «A thousand girls / That look like me / Staring at the open sea / Repeat the words until they're true...»

Plus rock, plus guitare-basse-batterie, plus Keith Richards, plus Stones façon Tattoo You, le tout recouvert d'arrangements discrets, Good God Damn évoque l'égarement planifié: on s'étourdit, on se la gèle solide, ça pourrait mal se terminer. Peut-être y a-t-il un Dieu dans la place pour redresser la situation. Allez savoir...

La trame musicale est post-punk, cold wave effectivement glaciale: Put Your Money on Me est une typique chanson de passion où le narrateur essaie désespérément de convaincre l'autre d'investir dans une relation en crise. «When Silicon Valley's melted back into silicon we'll find a way to survive», rien de moins. Promesses vertueuses? Paroles, paroles, aurait répliqué Dalida.

Précède la conclusion cette magnifique ballade construite sur des synthé-basses ronflantes, assortie d'étonnants référents americana, façon Bruce Springsteen; We Don't Deserve Love porte bien son titre, inutile d'en rajouter.

On boucle la boucle dans le noir... avec un soupçon d'espoir: «We can just pretend / We'll make it home again / From everything now.»

* * * 1/2

INDIE ROCK, DANCE PUNK, EURO-DISCO, AMERICANA, ÉLECTRO. Everything Now. Arcade Fire. Columbia/Sony. Sortie: 28 juillet.