Après avoir pavé une voie d'exception au hip-hop actuel en l'étoffant de jazz modal, de nusoul et de chant choral, Kendrick Lamar a-t-il encore ce souffle de génie qu'on lui prête depuis la sortie de l'opus phare To Pimp a Butterfly ?

À travers les 14 titres de DAMN., Kendrick Lamar propulse ses rimes neuves vers des altitudes comparables à celles déjà atteintes. Or, le MC de 29 ans n'a pas choisi le même plan de vol pour les musiques de son quatrième album studio. À l'évidence, il cherche ailleurs qu'il cherchait depuis deux ou trois ans, et pas aux endroits les plus reculés qui soient.

Cette fois, ses mots se fondent dans un beatmaking inhérent au hip-hop d'aujourd'hui et à ses prolongements trap, de même qu'à une soul/R & B issue d'époques antérieures à la sienne.

Superstar consacrée, Kendrick se permet d'inviter Rihanna à s'exprimer indolemment à ses côtés dans LOYALTY. Il réussit même à donner des airs de jeunesse à Bono et ses redondants collègues de U2 dans XXX. It's not a place/This country is to be a sound of drum and bass/You close your eyes to look around, chante notamment Paul Hewson...

Réalisations plus synthétiques

Quoi qu'on pense de ces apparitions, le rappeur et son entourage préconisent des réalisations moins organiques, moins instrumentales, plus synthétiques, mais qui n'excluent en rien le groove afro-soul, les compléments vocaux bien sentis, cette typique sensualité afro-américaine.

Les fréquences sont ficelées par Mike Will Made It, 9th Wonder, James Blake, Badbadnotgood, Terrace Martin, Bēkon, The Alchemist, Sounwave et Tae Beast (Digi + Phonics), on en passe. À l'instar de Blake, notre Kaytranada y ajoute quelques voix de fond, Kamasi Washington y suggère des arrangements de cordes plutôt que de s'y époumoner au sax ténor, Thundercat y offre une piste de basse... Enfin bref, DAMN. évite les grands déploiements sonores, ses innovations se veulent succinctes, compactes, pour ne pas dire discrètes.

Si cet album parvient à se démarquer parmi les grands crus de 2017, en tout cas, ce sera d'abord pour le flow de ses mots.

Au programme : paraboles aussi élégantes qu'acerbes, critique sociale aiguisée, conscience politique exacerbée par la violence de la conjoncture, habiles évocations bibliques, réflexion sur le principe de Dieu, passé familial bien senti, assomption des paradoxes personnels, promotion de l'humilité, expression de la peur et de la confusion, rappel des origines de classe, allégeance réitérée au ghetto black de Compton, évocations du président américain et de son prédécesseur, citation ironique de Geraldo Rivera de Fox News (dénigrant le hip-hop), contradictions vécues par l'Afro-Américain désireux de suivre le droit chemin, cynisme, inquiétude.

Dans ce cycle qui s'amorce, Kendrick Lamar n'a manifestement rien perdu de son mordant, de sa haute lucidité, de sa finesse métaphorique. De sa superbe.

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HIP-HOP

DAMN.

Kendrick Lamar

Top Dawg , Aftermath et Interscope

IMAGE FOURNIE PAR INTERSCOPE RECORDS

DAMN., de Kendrick Lamar