La production musicale française traverse encore souvent l'Atlantique à la rame. Mais, bonne nouvelle pour ses amateurs, elle s'y rend très rapidement par internet... Parmi les albums ayant fait l'objet d'une vraie couverture médiatique en France, voici quelques spécimens qui n'ont pas eu vraiment d'échos en Amérique francophone.

Les cinq disques ici présentés ont été d'abord découverts en lisant les critiques françaises (Les Inrocks et Télérama, notamment), puis écoutés en continu (streaming), avant d'être téléchargés sur des serveurs européens qui accueillent les transactions canadiennes par carte de crédit - dans le cas qui nous occupe, MusicMe, Qobuz.com, la boutique française iTunes et le site officiel d'un chanteur. Le téléchargement autorisé de ces albums ne se fait pas toujours en claquant des doigts; les produits recherchés sont souvent absents des boutiques virtuelles gérées en Amérique... et leur version CD est importée au compte-gouttes. Néanmoins, bien qu'on soit encore à l'aube de cette façon de faire, on peut déjà se procurer les albums en toute légalité, à partir de huit euros.

Grandeur d'âme

«Et si seulement tu savais la taille de mon âme», suggère la chanson centrale. Une de ces super chansons de Daniel Darc. Super expression d'un abîmé de la vie, survivant magnifique qui réussit encore à faire de l'art. Ce qui reste vivant en lui vibre très fort, c'est la danse du raffinement et de la volupté que pratiquent de beaux éclopés.

Voilà donc un album extrêmement touchant. Avec des mots simples que portent des mélodies sûres. Avec cette voix fragile que renforcent les compositions inspirées et les arrangements fins. Éléments de musique classique, grandes trames de films, rock, orchestrations ancrées dans la chanson française moderne. En nous ouvrant d'autres chemins, magnétiques pour la plupart, Daniel Darc réussit un album majeur après sa renaissance de Crèvecoeur (2004) et sa suite, Amours suprêmes (2008), tous deux créés avec Frédéric Lo. Au coeur de ces chansons et narrations, l'expression sensible de Daniel Darc met à profit toutes ses ressources. Maîtrise, élégance, imagination, belles cicatrices.

Daniel Darc

La taille de mon âme

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Sony Music

France

Couette alors!

Le renommé réalisateur Philippe Zdar (Cassius) et fondateur du label Kistuné sous lequel enregistre Housse de Racket, a mis beaucoup de mine dans ce crayon. Cette synth pop est propulsée par de puissants rythmes binaires, des refrains qui ont tôt fait de se transformer en vers d'oreille, ou par de solides arguments guitaristiques. Inutile d'ajouter que l'approche est bilingue quoique d'esprit plus anglo que franco.

À l'instar de tous ces rares groupes frenchies capables de s'exporter, Housse de Racket pourrait bien faire de l'effet bien au-delà de la francophonie, on observe déjà le succès d'estime en Angleterre - à commencer par The Guardian, note le profil wiki de la formation. Ce matériel est redoutablement efficace. Si le groupe arrive à proposer une expérience accrue sur scène, il pourrait rapidement devenir un nouvel atout de l'export français. Car cette pop est bien assez incendiaire pour faire bien plus que les premières parties de Phoenix - ce que Housse de Racket a déjà fait. On n'y craint pas les débordements, bien que cela reste de la pop ultravitaminée du début à la fin. La chaleur y reste élevée, la pédale de la Housse peut se bloquer dans le tapis.

Housse de racket

Alesia

****

Kitsuné/Cooperative Music

Les deux côtés de la Manche

Sur le plan linguistique, François Marry et ses Monts Atlas expriment leur conception de la chanson de France dans l'actuel bouillon européen.

Ainsi, bilingues sont ces chansons de mer et d'altitude, d'air et de fluides. Cela étant noté, le souci de bien écrire les mots en français fait plutôt bon ménage avec cette langue étrangère qu'il a fréquentée en séjournant à Bristol, Angleterre. Qui plus est, François Marry a bien saisi les nouveaux enjeux du songwriting anglo-américain (psych folk, indie rock, etc.) tout en restant tributaire de sa francophonie (hexagonale, africaine et plus encore). C'est patent dans la production, dans le choix des instruments, dans la manière de ficeler.

Il reste pourtant quelque chose de très français dans la dégaine générale, prenons pour exemple Cherchant des ponts, superbe duo entonné avec Françoise Breut. Qu'on ne s'y méprenne pas, E Volo Love n'est pas un album-choc, on en perçoit la profondeur et la personnalité au fil des écoutes. On finit par saisir cette manière d'«éprouver les lentes montées du danger» ou de suggérer «allons à la piscine demain». De toute évidence, ce François and The Atlas Mountains exhale le talent.

François and the Atlas Mountains

E Volo Love

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Domino/PIAS

Coeur de Cloup

Désarmant de simplicité, «jusqu'au bout du tracé, jusqu'au bout du cercle parfait», le chanteur et guitariste Michel Cloup se présente dans une sorte de transe rock au ralenti. Prisées sur la Toile française, ses chansons autoproduites (en vente sur son site: www.michelcloup.com) suggèrent des rimes très simplement écrites mais qui expriment bien ce qu'elles ont à dire.

Sorte de non-poésie faite de langue parlée, magnifiée par la musique. Guitare et batterie concourent à une onde de rock qui peut acquérir une réelle intensité dramatique, malgré la lenteur du rythme. Pendant la chanson L'enfant, une plage de 11 minutes et 29 secondes, on peut visualiser ce narrateur inquiet voire paniqué: «Je vide tes boîtes et les remplis à nouveau... les heures se perdent ainsi». Pendant Notre silence, qui dure aussi 11 minutes et 7 secondes, l'objet est de «laisser filer ce qu'il reste/juste toi et moi notre silence/dans cette pièce blanche», le tout conclu par un mashup d'Over The Rainbow. Avec peu de moyens, Michel Cloup réussit à garder l'attention, à nous lier à son expérience. On peut comprendre l'effet viral de cet album.

Michel Cloup

Notre silence

***1/2

MC

Tout est très bien...

On le connaît peu en Amérique, si ce n'est que pour sa participation à l'album Bleu pétrole d'Alain Bashung. En 2008, rappelle son profil Wikipédia, il créait à Rio l'album Les jours sauvages avec le réalisateur brésilien Mario Caldato Jr, mettant à contribution Kassin et Moreno Veloso. En 2010, il publiait son premier roman, La nuit ne viendra jamais, éd. La Tengo. Puis il retournait en studio afin de battre ce Rouge fer... pendant qu'il était chaud. La réalisation (la sienne) et le mix (Daniel Thorpe) produisent une impression d'horizontalité française, chansons pop et rock d'un garçon intelligent et talentueux qui sait s'entourer.

Il manque tout de même un déclencheur, un détonateur. Dans le cas qui nous occupe, la mèche est allumée, mais elle peut parfois se noyer dans la flaque de carburant. Cela dit, ce Rouge Fer de Joseph D'Anvers se maintient à des niveaux élevés de qualité. Chemises bien pressées, 100% coton, secousses relativement contenues. Le tout au service d'une plume acérée, d'un artiste doué. On attend la suite.

Joseph D'Anvers

Rouge fer

***1/2

Atmosphériques