Les 32 Sonates de Beethoven forment le corpus le plus important du répertoire pianistique par la mise à contribution des ressources de l'instrument, le rôle de tout premier plan qu'elles donnent à l'interprète et la satisfaction totale qu'elles apportent à l'auditeur.

Les cinq dernières, en particulier, opp. 101, 106, 109, 110 et 111 (composées entre 1816 et 1822), étonnent encore aujourd'hui par la modernité souvent démentielle de leur structure et de leur écriture. Nombreux sont les pianistes qui, capables de traduire l'essence de l'Appassionata, de la Waldstein, de la Pathétique, restent étrangers au message que portent les cinq grandes sonates de la fin.

Il était donc naturel de trouver audacieux, pour ne pas dire plus, l'enregistrement de l'ultime groupe de cinq que la petite marque torontoise Marquis a confié au jeune pianiste Stewart Goodyear, qui n'est pas très connu et qui, surtout, n'a pas de réputation comme interprète de Beethoven.

Il existe de ces oeuvres des enregistrements de référence que personne ne songerait à remplacer: Schnabel, Kempff, Backhaus, Solomon, Arrau, Brendel, Kuerti. On dira que le jeune Goodyear ose s'introduire au milieu de ces géants. Je réponds qu'il s'y défend plus qu'honorablement!

Tout d'abord, sur le plan technique, il n'a aucun problème et traverse avec la plus parfaite aisance cette musique qui est souvent d'une monstrueuse difficulté. On remarquera notamment l'extraordinaire force de sa main gauche qui, non seulement assure un dialogue absolument égal avec la droite, mais confère un dramatisme quasi orchestral aux montées et descentes d'octaves que Beethoven place à la basse du clavier. Par ailleurs, la prodigieuse clarté du jeu sert bien les fugues et épisodes fugués que Beethoven multiplie ici. Le pianiste fait toutes les reprises, sans exception.

Avant tout, l'interprétation est le fait d'un authentique musicien qui, à chaque mesure, est présent, fait tonner ou chanter son piano et raconte quelque chose. Goodyear reste toujours fidèle au texte, tout en l'animant d'un nouveau souffle: légers rubatos, forts contrastes.

Certaines approches surprendront. Ainsi, pour la colossale Hammerklavier, op. 106. Goodyear y met une puissance et une vitesse inhabituelles, avec des trilles qui fusent de partout, bref une sorte d'énergie rageuse qu'on pourra trouver excessive mais qui ne fait qu'illustrer la totale démesure de cette musique.

Les séances d'enregistrement eurent lieu l'an dernier à deux mois d'intervalle. Dans l'op. 110, une légère réverbération à l'aigu du piano fait conclure à une position différente des micros. Un détail.

**** 1/2

BEETHOVEN. STEWART GOODYEAR, PIANISTE.

MARQUIS, alb. 2 d., 81 507.