« Même à travers mon masque, vous pouvez voir que je souris ! », lance Yannick Nézet-Séguin en arrivant sur la scène de la Maison symphonique, qui accueillait samedi après-midi ses premiers spectateurs depuis six mois (une éternité !). Une fois qu’il a le dos tourné, on sent encore son sourire, à entendre ce qui sort de l’orchestre.

Le public le lui rend bien, par des applaudissements des plus sentis. Malgré les variants, malgré le désinfectant obligatoire à l’entrée (« Non, monsieur, aucun symptôme, aucun voyage à l’étranger… »), malgré la disparition du petit rouge à l’entracte, plus de 200 passionnés se sont déplacés à la Place des Arts pour entendre l’Orchestre Métropolitain.

La marche à suivre pour entrer et sortir de la salle semble plus fluide qu’en septembre, l’attente à l’entrée étant, à ce que nous avons pu constater, tout à fait minimale. Seul petit couac : une voix a demandé aux spectateurs, à la fin du concert, de ne pas se lever avant que leur rangée soit nommée… sans énumérer lesdites rangées. Perplexité dans la salle.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre Métropolitain

Le chef d’orchestre a profité de la présence de la ministre de la Culture, Nathalie Roy, et du ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, pour souligner combien « la culture est traitée avec respect au Québec, même si beaucoup reste à faire ». Il connaît bien ces enjeux, lui qui dirige deux orchestres au sud de la frontière, où le financement des arts dépend beaucoup plus du mécénat privé.

C’est d’ailleurs avec une composition états-unienne que Nézet-Séguin a ouvert le concert. Umoja, Anthem of Unity, de l’Afro-Américaine Valerie Coleman, a été créé il y a deux ans par le chef québécois et l’Orchestre de Philadelphie et s’inspire des chants à répondre swahilis. C’est une musique généreuse, très tonale, qui fonctionne beaucoup par ostinatos de cordes et est assaisonnée de nombreuses percussions plus ou moins exotiques. On pense un peu à certaines œuvres de Bernstein ou de Copland.

Le soliste du jour est un jeune pianiste torontois de 19 ans, Tony Siqi Yun, qui est venu jouer le Concerto pour piano de Clara Schumann. Lui et Yannick Nézet-Séguin ont eu l’occasion de se connaître lors du Concours international de musique de Chine, le second accompagnant les finalistes avec son ensemble de Philadelphie.

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Concert avec le jeune prodige et premier prix du Concours musical international de Chine, Tony Siqi Yun, qui interprète le Concerto pour piano de Clara Schumann, sous la direction de Yannick Nézet-Séguin

Yun a un beau tempérament, avec un côté fougueux irrésistible, parfois un peu débordant. Il suit le chef au doigt et à l’œil dans les mouvements rapides, nettement plus intéressants pour la partie pianistique, très chopinienne, que pour l’accompagnement orchestral sans grand relief (trait là encore très chopinien).

La « Romance » centrale, qui, fait rare pour un concerto, ne concerne que le piano et le violoncelle solo (partie assurée par l’expressive Caroline Milot), est l’occasion pour le jeune artiste de montrer son sens du chant. Les musiciens de l’orchestre, comme le public, étaient suspendus à ses doigts. Un pianiste dont nous suivrons l’évolution avec grand intérêt.

Le sommet musical du concert était bien entendu la délicieuse Symphonie no 2 de Brahms, qui s’inscrit au sein d’une intégrale en quatre concerts sur quelques semaines. Revigoré par la présence d’un « vrai » public, Nézet-Séguin y est allé de cet avertissement enthousiaste avant de saisir sa baguette : « On va peut-être pécher par un excès de décibels à la fin de la symphonie, et on ne s’en excuse même pas ! »

Le chef a offert un Brahms très creusé, généralement posé, et toujours chantant. Les contrastes entre les passages lyriques et ceux plus emportés ont été soulignés avec un grand art, le musicien prenant le temps de savourer les premiers et emmagasinant l’énergie pour la relâcher dans les climax. Et comme promis, Nézet-Séguin a lâché les fauves dans le finale. On en redemanderait !

Le concert sera offert en webdiffusion du 9 au 18 avril.