Avec le décès de Charles Aznavour, c'est tout un pan de l'histoire musicale du Québec qui vient de disparaître.

Le chanteur et comédien, qui est décédé à l'âge de 94 ans, aura laissé une marque indélébile dans la province, qu'il a visitée à de nombreuses reprises au cours de sa longue carrière.

L'histoire d'amour entre Charles Aznavour et le Québec ne date pas d'hier. En 1948, environ deux ans après avoir été remarqué par Édith Piaf, il débarque au cabaret montréalais Au faisan doré, où il présente avec le pianiste Pierre Roche une série de spectacles pendant environ un an et demi. Il se liera également d'amitié avec d'autres chanteurs québécois, dont Jacques Normand et Monique Leyrac.

C'est à partir de ce moment que décolle la carrière nord-américaine d'Aznavour, alors qu'elle tarde à prendre son envol de l'autre côté de l'Atlantique.

C'est aussi à cette époque, dans les années 1950, que certains tentent de le dissuader de poursuivre sa carrière dans le domaine de la chanson. Trop petit. Trop peu instruit. Et surtout: cette voix... !

« Les professeurs que j'ai consultés sont catégoriques: ils m'ont déconseillé de chanter. Je chanterai pourtant, quitte à m'en déchirer la glotte», écrivait-il d'ailleurs à cette époque.

Né en France de parents arméniens en 1924, Charles Aznavour finira par connaître la gloire au début des années 1960 dans l'Hexagone, après un passage mémorable à l'Alhambra de Paris en 1957, où il a fait un tabac, notamment grâce à la chanson Je m'voyais déjà. Mais toujours, Charles Aznavour reviendra au Québec.

«Je suis arrivé ici comme "un maudit Français", mais très très vite, je suis devenu presque un Québécois», disait-il en recevant l'insigne d'officier de l'Ordre national du Québec en 2009. Cette année-là, l'Université de Montréal lui avait également attribué un doctorat honorifique pour son «apport à la culture francophone».

En plus de six décennies de carrière, Aznavour s'est vu plus souvent qu'à son tour en haut de l'affiche au Québec. Et même s'il a toujours soutenu qu'il n'avait pas l'intention de faire de tournée d'adieu, c'est précisément ce qu'il a fait en 2002 - en se gardant bien de fermer la porte complètement à un retour sur scène.

«On ne se retire jamais vraiment, parce que si un jour on me demande de remonter sur scène pour une oeuvre de bienfaisance, je le ferai. Uniquement pour une oeuvre de bienfaisance, pas pour autre chose», avait-il alors déclaré au quotidien La Presse.

L'infatigable chanteur, bien connu pour son implication dans la cause arménienne, n'a pu résister à l'appel de la scène bien longtemps - et pas uniquement pour des oeuvres de bienfaisance. En 2005, il récidivait avec un «autre» dernier tour de piste, une tournée dont le coup d'envoi a été donné au Québec. Il est revenu au pays en 2008, à l'occasion du 400e anniversaire de la ville de Québec.

Quelques jours avant ce grand spectacle en plein air sur les plaines d'Abraham, il avait été investi à titre honorifique au sein de l'Ordre du Canada. «L'Arménie est mon âme et le Québec est plutôt mon coeur», avait-il lancé, ému, à Rideau Hall.

Robert Charlebois, qui assistait à la cérémonie, avait lui aussi fait l'éloge du chanteur français, qu'il considère comme son «parrain du showbusiness».

«Rencontrer Aznavour, c'est comme pour un jeune curé rencontrer le pape, avait-t-il ajouté en rigolant. C'est le pape de la chanson française. Et c'est le plus québécois des chanteurs français, depuis le plus longtemps en plus.»

Il est vrai qu'au cours de sa prolifique carrière, Charles Aznavour a uni sa voix à celles de nombreux artistes québécois, dont Céline Dion et Gilles Vigneault, en plus de participer à de nombreux événements en compagnie d'artistes d'ici.

L'ancien protégé de «la Môme» Piaf a d'ailleurs vécu un véritable coup de foudre professionnel pour l'une d'entre elles, Lynda Lemay, qu'il avait entendue lors d'un concert en hommage à Charles Trenet en 1996 au Festival de jazz de Montreux. Il a ensuite donné un sérieux coup de pouce à la chanteuse pour sa carrière européenne.

«Nous sommes des écrivains d'une chanson qui traite du quotidien. C'est important, le quotidien, parce que c'est à travers les petites choses de la vie que l'on s'adresse aux gens, qu'on leur enlève un peu du poids de leurs difficultés», avait dit M. Aznavour à Lynda Lemay en 2000 lors d'un entretien rapporté par Le Nouvel observateur.

Charles Aznavour, qui a chanté les amours de jeunesse, les amours insatisfaites et les amours brisées, a été marié trois fois.

«Comment s'y prend-il, cet Aznavour, pour rendre l'amour malheureux sympathique aux hommes ? Avant lui, le désespoir était impopulaire. Après lui, il ne l'est plus...», disait Cocteau.