Retour dans le temps au fil des albums de Coeur de pirate. Il y en a eu quatre en dix ans de carrière, si l'on exclut l'EP Armistice fait avec Jay Malinowski, la compilation de reprises pour la série télé Trauma et la trame sonore du jeu vidéo Child of Light.

Coeur de pirate (2008)

Béatrice Martin a fait partie du groupe Bonjour Brumaire avant de se lancer en solo. Elle n'avait alors que 17 ans. «Quand on a fait les préliminaires des Francouvertes, j'ai dit au groupe que c'était mon dernier spectacle avec eux. On ne s'entendait plus», raconte-t-elle.

Nous sommes en 2008. Entre-temps, Coeur de pirate met en ligne des chansons sur MySpace. On assiste alors à l'un des plus gros buzz de l'histoire de la musique québécoise.

À l'époque, Béatrice explique que son nom d'artiste, Coeur de pirate, évoque un coeur sensible et blessé, mais combattant, indépendant et encore prêt à aimer. «Cela a encore du sens», dit-elle aujourd'hui.

Coeur de pirate signe un contrat avec l'étiquette Grosse Boîte/Dare To Care (Tricot Machine, Malajube). À l'été 2008, elle est invitée à se produire aux FrancoFolies de Montréal, en première partie de Benjamin Biolay, qu'elle ne connaît pas, et au festival Osheaga. Son premier album - homonyme -, réalisé par David Brunet, sort en septembre.

L'auteure-compositrice-interprète compte alors toujours s'inscrire à l'université. «Je me suis plutôt retrouvée en France, dit-elle. En France, ma carrière a pris de l'ampleur plus rapidement qu'au Québec, où j'étais plus indie.»

Au printemps 2009, son premier album sort de l'autre côté de l'Atlantique (où il s'est vendu à près de 500 000 exemplaires). Sous contrat avec Barclay (Universal), Coeur de pirate enfile les honneurs: des spectacles à guichets fermés, trois trophées prestigieux aux Victoires de la musique remportés à titre d'interprète, d'auteure et de compositrice de la chanson de l'année, puis son premier Olympia de Paris.

Blonde (2011)

C'est connu dans le domaine de la musique, le deuxième album «est le pire» à sortir, surtout quand le premier a connu un succès monstre.

«Avant de sortir Blonde, la pression m'a rattrapée et je me suis retrouvée à faire des crises de panique, raconte Coeur de pirate. J'en faisais tellement que j'avais de la misère à marcher dans la rue sans que cela me prenne. C'est à ce moment-là, à Paris, que j'ai vu la phrase "En cas de tempête, ce jardin sera fermé".»

Heureusement, Blonde, coréalisé officiellement par Howard Bilerman, associé à Arcade Fire - «mais surtout par Renaud Bastien et Michael Rault», précise Coeur de pirate -, est accueilli fort chaleureusement par le public et les critiques.

«Puis, je suis tombée enceinte et j'ai fait la tournée enceinte. Je n'ai pas annulé un seul show», souligne-t-elle.

Coeur de pirate a 22 ans quand elle donne naissance à Romy.

«Romy a ouvert une autre partie de mon cerveau. Tout d'un coup, j'avais une autre vision des choses. Avant Romy, j'étais très fâchée. Je trouvais que je sortais avec des gros cons. Avec Romy, j'ai arrêté d'avoir des crises de panique, il y avait un truc d'instinct. Et il y a aussi un autre côté créatif qui s'est développé en moi.»

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Blonde (2011)

Roses (2015)

Pour son troisième album, Roses, Coeur de pirate enregistre ses premières chansons en anglais. Elle visite des studios de Stockholm, Londres et Bristol avec trois réalisateurs de renom. Le Suédois Björn Yttling, membre de Peter, Björn and John, associé à Lykke Li. Le Britannique Rob Ellis, proche de PJ Harvey, ainsi que le réalisateur anglais Ash Workman (Metronomy). «Un rêve devenu réalité», se remémore-t-elle.

Roses, «c'était une autre game», souligne-t-elle. «Je voulais essayer autre chose et je me suis laissée embarquer dans des plans ambitieux. Percer le marché américain, pourquoi pas?»

En 2015, Coeur de pirate signe un contrat - pour le territoire américain - avec Cherrytree Records, filiale d'Interscope du major Universal.

Or, Cherrytree se dissout alors que Coeur de pirate entame sa tournée américaine. «Je me suis vraiment remise en question...»

Dans le cycle de Roses, Coeur de pirate a donné plus de 250 spectacles. À la fin, c'était l'épuisement.

Mais avec du recul, l'artiste se dit mission accomplie. «C'était important pour moi d'explorer tous les territoires. Avant, je ne pensais pas pouvoir donner un spectacle sold-out à Amsterdam. Or, c'était à cause des chansons en anglais. Je suis contente de l'avoir fait. Je suis très fière de cet album-là. Et c'est celui qui m'a permis de m'établir véritablement au Québec. Oublie-moi a beaucoup joué à la radio.»

«Roses a été un gros album de façons positive et négative», résume-t-elle.

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Roses (2015)

En cas de tempête, ce jardin sera fermé (2018)

Coeur de pirate pensait prendre une longue pause. Elle a même songé à se retirer dans l'ombre.

En France, elle prend part en 2016 au conte musical Les souliers rouges, au côté d'Arthur H et de Marc Lavoine. L'année suivante, elle est membre du jury à l'émission de téléréalité Nouvelle star quand un jeune candidat vénézuélien reprend l'une de ses chansons en déclarant avoir appris le français grâce à elle.

Coeur de pirate prend alors conscience de l'impact des artistes dans la vie des gens. Puis le mouvement #metoo éclate et l'auteure-compositrice-interprète déborde d'inspiration pour un quatrième album où elle évoque des épisodes douloureux de son passé, dont un viol conjugal.

«Je refoulais tellement de choses. Sur mes autres albums, je ne parlais pas des vraies affaires, mais juste de ce qui m'arrivait, explique Coeur de pirate. Personne ne va me le dire, mais je suis certaine que des gens ont eu peur que je sois off-brand en pensant que je ne devais pas parler de certains sujets.»

Le plus dur a été de créer les chansons, surtout Je veux rentrer et De honte et de pardon. «J'étais dégoûtée, triste... puis indifférente et soulagée. C'est important de vivre ces étapes pour faire un deuil. Je me souviens d'avoir envoyé les démos à Judith [son imprésario]. Je lui disais: il faut que je fasse ces chansons.»

En d'autres mots, ce n'était pas le fruit d'une décision, «c'était de faire ce que je dois».

Sur son dernier album, Coeur de pirate parle de relations toxiques, du fait de les répéter et du sentiment de «culpabilité par association», en référence à une relation amoureuse qu'elle a eue avec quelqu'un accusé d'agression sexuelle.

«Le mouvement #metoo m'a libérée. Imagine, avant, j'avais peur que cela nuise à mon brand. Non! C'est fini, ce temps-là. Cela m'a vraiment fait du bien. C'est difficile de les revivre en spectacle, mais il y a quelque chose de très puissant dans le fait de se réapproprier des événements que nous avons vécus. C'est ce que je fais en ce moment.»

En juin dernier, une journaliste du magazine français L'Express a écrit que Coeur de pirate s'était peut-être « sabordée » avec son quatrième album. «La vague #metoo a-t-elle été l'un des détonateurs de cette confidence violente ou une bonne opportunité? Allez savoir», a-t-elle écrit.

Coeur de pirate a rabroué la journaliste sur les réseaux sociaux. «Je l'ai callée out! Je peux le faire, car je suis établie. C'est moins évident quand tu commences. Je trouve cela dangereux que de telles choses soient publiées... Cela suffit de se taire!»

Pour faire contraste aux textes sombres de son dernier album, Coeur de pirate voulait des musiques lumineuses. En studio, elle a fait appel au réalisateur Tristan Salvati (Angèle, Louise Attaque). «Je suis vraiment contente des sonorités et de ce que nous avons fait à deux. Des mélodies à l'italienne, du tango, un peu de disco, de la French touch...»

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En cas de tempête, ce jardin sera fermé (2018)