Béatrice Martin a demandé à La Presse de réunir la rappeuse québécoise Donzelle et le journaliste Laurent K Blais afin de débattre d'une question qu'elle se pose elle-même en tant qu'amatrice de hip-hop: peut-on écouter du rap et être féministe?

On reproche souvent au rap de véhiculer un discours misogyne et une image hypersexualisée de la femme. Est-il possible d'en écouter tout en ayant des convictions féministes?

Donzelle: Tu peux clairement être féministe et écouter du hip-hop. Et pas seulement des femmes qui rappent ou du hip-hop féministe. J'irais jusqu'à dire qu'il est possible d'écouter du rap fait par des hommes et avec des textes un peu misogynes, tout en étant féministe. Je suis moi-même féministe et je pense que c'est crucial de l'être en 2018. Je suis dans une position où tout le travail fait par les femmes avant moi me permet d'écouter ce que je veux sans qu'on me dise quoi faire. J'écoute beaucoup de hip-hop fait par des femmes. Si tu penses aux intérêts des femmes, au fait d'être en plein contrôle de ton corps et de ta sexualité, tu peux jouer la game de l'hypersexualisation comme le font Nicki Minaj ou Cupcakke.

Laurent K Blais: Cette question se pose dans plein de domaines. Est-ce que tu peux avoir une auto et avoir une position environnementaliste? On est à une époque complexe où c'est facile d'être en dissonance cognitive entre ce que tu fais et ce que tu penses. Le rap est dans cette lignée-là. Le hip-hop est dans une position de dominance actuellement, mais tous les genres musicaux peuvent être misogynes. Il y autant de féministes que de femmes et de raps que de rappeurs.

Comment expliquer ce contraste à des enfants?

Donzelle: Il y a quelque chose de très cru dans le rap. Ce que j'aime le plus, ce sont les beats, les grosses basses. Il y a aussi des paroles qui sont tellement dirty, qui poussent tellement loin, qu'il y a quelque chose de très l'fun, de très libérateur pour danser dessus. Ça vient chercher un côté physique, instinctif et charnel sur la piste de danse. Cela dit, j'ai une fille de 8 ans et je n'ai jamais arrêté d'écouter du rap. Elle écoutait ma musique, regardait les vidéoclips. L'éducation est primordiale. Il faut en parler, dire ce qui est cool et ce qui est problématique. Je peux parfois trouver problématique l'hypersexualisation. Mais en même temps, je ne veux pas rentrer dans le «slut shaming». J'ai la même discussion à propos de certains vidéoclips de rap que j'en ai au sujet de certaines émissions pour enfants comme Monster High.

Où se trouve la limite pour vous?

Donzelle: Il peut m'arriver d'écouter du rap qui dépasse les limites. C'est quand je sens le ton d'agressivité ou la violence liée à la sexualité que se trouve ma limite et que j'arrête la toune. Drogue, sexe, vulgarité, je suis OK avec tout ça. Mais la sexualité non consentante... Concernant les actes répréhensibles d'artistes dans la vraie vie, je trouve ça plus compliqué.

Laurent K Blais: En 2017, il y a eu un rappeur [Kodak Black] accusé de battre sa femme enceinte, un autre [6ix9ine] qui agressait une fille de 12 ans dans un vidéoclip. C'est là que j'ai senti le plus gros clash. Tu ne peux plus argumenter en disant qu'il ne le fait pas pour vrai, qu'il fait juste le dire. Mais comment les empêcher de prospérer ? En ce moment, tu as une tournée avec Young Thug, un artiste très intéressant, Nicki Minaj et 6ix9ine. Comment tu fais pour concilier ces trois affaires? Si tu es capable de remplir une salle, personne ne va te boycotter.

Donzelle: Je n'irais pas acheter les albums ou aller voir les spectacles des personnes qui font ce genre de choses. Les messages haineux, homophobes sont tout aussi problématiques.

Laurent K Blais: Mais est-ce que la misogynie est considérée au même titre que l'homophobie, par exemple, en termes de discours haineux? Il y a une plus grande latitude, tu peux être plus misogyne dans notre société qu'homophobe. On parle surtout ici de la société et du rap américains. Au Québec, c'est une autre réalité...

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le journaliste Laurent K Blais