Dance music atypique. Voix atypique. Instrumentation atypique. Engagement social et féministe. On additionne tout ça et on obtient une proposition épidermique: I Can Feel You Creep Into My Private Life, quatrième album de la formation californienne tUnE-yArDs. Entrevue avec sa leader, Merrill Garbus.

En 2009, le premier album de tUnE-yArDs, Bird-Brains, a été chaleureusement accueilli sur l'entière planète indie. À la même époque, l'Américaine Merrill Garbus a mis un terme à sa résidence montréalaise, élisant domicile dans la baie de San Francisco. Nous sommes en 2018, la fondatrice de tUnE-yArDs y vit toujours.

Près d'une décennie après cette consécration, les attentes sont très élevées pour l'escale montréalaise du tandem californien que Merrill Garbus constitue avec le multi-instrumentiste Nate Brenner - tandem transformé en trio pour la tournée, soit avec le batteur Hamir Atwal.

« Nous voulons offrir ce que nous estimons être une dance music de pointe. Notre musique a ses racines dans la house originelle, dans le disco, dans le groove et dans plusieurs autres musiques américaines, antillaises ou africaines », explique Merrill Garbus, jointe à Vancouver la semaine dernière.

Le privilège blanc

Qu'est-ce qui distingue tUnE-yArDs des autres formations issues de la pop expérimentale ?

D'abord, la voix multiréférentielle de Merrill Garbus et les textes que porte cette voix.

Notre interviewée confie l'avoir admis après avoir résisté à l'idée de son propre leadership.

« Nate Brenner et moi avons acquis un rythme de travail des plus efficaces, il y a entre nous une grande complicité et une grande confiance. J'aimerais donc croire que la paire est parfaitement égale, mais Nate me rappelle régulièrement que sans ma voix et mes textes, ce ne serait plus tUnE-yArDs. Je dois lui donner raison ! Par contre, la direction musicale du groupe [composition et réalisation] est partagée également. »

L'engagement est une autre carte maîtresse de tUnE-yArDs. Dans le contexte de la montée de l'intolérance aux États-Unis, le thème du racisme insidieux est central dans le répertoire récent du groupe, d'où le titre I Can Feel You Creep into My Private Life.

« Je m'y exprime en tant que femme blanche. Je parle notamment d'appropriation culturelle. Avec tous les événements récents (#metoo, etc.), nous traversons une période très intéressante. Nous devons en profiter pour réexaminer le féminisme que nous avons tenu pour acquis. »

« J'ai moi-même grandi avec une mère totalement autonome, authentique produit du mouvement de libération des femmes des années 60 et 70, poursuit notre interviewée. J'ai fait des études universitaires, on m'a éduquée dans l'égalité hommes-femmes et... ce n'est pas le monde dans lequel je vis. Je me rends compte plutôt que j'ai vécu dans un environnement privilégié, de race blanche. »

Le contexte américain, soulève-t-elle en outre, est celui de l'appropriation culturelle et de l'avantage net des femmes blanches sur celles des autres communautés issues des pays en voie de développement.

« Je me sais privilégiée de pouvoir accéder à tant d'information, contrairement à d'autres artistes issus de milieux moins favorisés... Autoflagellation ? J'aime plutôt réfléchir à l'usage de la culpabilité blanche, c'est-à-dire faire en sorte que cette conscience de mon avantage me propulse dans l'action. »

Comment donc, Merrill Garbus ?

« Entre autres en évoquant dans mon art ce racisme systémique qui fait partie de ma réalité, que je le veuille ou non. Il ne faut pas rouler les yeux comme s'il s'agissait d'un sujet redondant, il faut accepter cette position d'inconfort. Il faut vivre avec. »

Maximiser son potentiel vocal

Extrêmement douée, Merrill Garbus peut compter sur un timbre, une puissance hors du commun et la maîtrise de plusieurs styles vocaux, ce qui confère à son chant une grande singularité.

« J'essaie d'en maximiser toutes les possibilités, de manière à acquérir un maximum de liberté. À chaque étape de mon cheminement, j'aime entendre ma voix accomplir des choses qui lui étaient inaccessibles auparavant. »

Pour maintenir la forme et la santé de sa voix extraordinaire, notre interviewée dit avoir travaillé avec Deborah Benedict, professeure de chant classique à l'Université de Californie à Berkeley.

« Elle fut très compréhensive quant à ma manière d'utiliser les techniques de chant classique dans un contexte très différent du sien. Au départ, je ne croyais jamais être capable de répondre à ses demandes. J'ai finalement beaucoup appris sur ma voix à travers ses enseignements. »

Les particularités de l'instrumentation constituent un autre facteur important de la réussite formelle de tUnE-yArDs.

« Dans notre studio, nous avons mis au point une chaîne d'effets sonores : boucles, délais, boîtes à rythmes, claviers, basse, guitare, ukulélé, pédales d'effets, filtres, percussions, etc. Nous élaborons cette instrumentation depuis plusieurs années, nous avons appris à la maîtriser. Depuis près de 10 ans, tous ces instruments et outils sont devenus les prolongements de nos corps. Cela nous a permis d'affermir notre langage musical. »

À L'Astral ce soir, 20 h, précédé de Xenia Rubinos