Le rappeur montréalais vient de donner deux concerts à guichets fermés à La Boule noire, à Paris. L'industrie du disque y était. L'Hexagone est-il enfin prêt pour le rap québécois?

«Bonsoir, tout le monde, je m'appelle Loud. Je viens de Montréal. C'est la première fois que je suis à Paris.»

Au pied de la scène, une grosse centaine de fans. Au fond, près du bar, des gens de l'industrie: tourneurs, distributeurs, journalistes, maisons de disques en quête d'une nouvelle sensation... Nous sommes à La Boule noire, petite salle bien connue du quartier Pigalle. Et tous sont venus voir le jeune rappeur québécois, qui donnait en début de semaine deux concerts à guichets fermés à Paris.

Il s'appelle Loud, de son vrai nom Simon Cliche-Trudeau. Et il fait présentement un petit buzz dans le milieu rap en France.

Sa chanson 56 K, sortie l'an dernier, a été vue près de deux millions de fois sur YouTube, avec 65 % des visionnements venant de l'Hexagone.

On comprend mieux pourquoi le public parisien connaissait par coeur les paroles des chansons 56 K, Nouveaux riches et Devenir immortel (et puis mourir), mardi soir.

Évidemment, les médias français l'ont tout de suite repéré. La plupart des sites spécialisés ont annoncé, dès décembre, les concerts parisiens du rappeur québécois, à commencer par Booska-p, une référence rap en France. Plus récemment, le blogue Backpackerz et le magazine culturel Les Inrocks ont ajouté leur grain de sel, le présentant comme «l'étoile montante du rap au Québec» et « le rappeur québécois que toute la France attendait ».

De quoi faire monter les attentes, la pression et les enchères pour ce jeune homme de 29 ans, qui n'a toujours pas de label officiel en France, mais sans doute pas pour longtemps.

«Les signaux sont bons»

Deux blancs-becs au coin du bar. Casquette sur la tête, la jeune vingtaine, bière à la main. On dirait des jumeaux. Ils sont venus du Havre, à deux heures de Paris, pour voir leur nouvelle idole.

Comme tout le monde en France, ils ont découvert Loud sur YouTube. «Son flow est bien et il ne se prend pas pour une star», résume Mathias, sourire aux lèvres. «On n'a pas l'habitude d'entendre du rap québécois avec l'accent. On aime bien comment il utilise l'anglais et le français», ajoute son pote Antonin, avant de retourner devant la scène.

En quelques mots, ces deux fans ont peut-être résumé ce qui fait l'intérêt de Loud en France. 

Dans un marché hip-hop saturé, où il est devenu difficile de se distinguer, le public semble de plus en plus ouvert à écouter du rap francophone aux tonalités différentes. 

On écoute désormais du rap belge (Damso, Romeo Elvis), du rap suisse (Di-Meh, Makala) et tout indique qu'on soit aussi disposé à découvrir le rap québécois.

Il faut savoir que jusqu'ici, nos rappeurs n'ont pas connu le même succès en France que nos chanteurs de variétés. Outre Roi Heenok, qui a fait sa marque dans un registre plus comique, on parle plutôt de trempettes et de percées limitées.

Ça pourrait être différent dans le cas de Loud. Soutenu en France par une filiale du distributeur Universal (Caroline), le rappeur vient d'être pris en charge par Auguri, une agence d'artistes importante qui s'occupe notamment de -M- et d'Arthur H, et qui compte exploiter au maximum le potentiel de ce rappeur venu du froid.

«Les signaux sont bons», confie l'un des tourneurs de la boîte, Morgan Antonutti, intercepté mardi dans les coulisses de La Boule noire. Tellement bons, en fait, que Morgan vient de boucler pour Loud une tournée française de 15 dates au printemps et de 20 dates en novembre prochain. Pas encore le circuit des grosses pointures, bien sûr, mais des salles de 300 à 600 places, ce qui est plus que prometteur pour un artiste québécois «en développement».

Photo William Fradette, fournie par Joyride Records

Le rappeur québécois Loud a donné deux concerts à guichets fermés à Paris, en début de semaine.

«Rester focus»

Rencontré dans son Airbnb quelques heures avant le concert, le principal intéressé savoure le moment. «Il y a quelque chose de spécial à être ici», confie-t-il.

Cheveux mi-longs, dégaine décontractée, éloquent, Loud avoue qu'il «visait» depuis longtemps le marché français. Il trouve néanmoins son succès «surprenant», d'autant que celui-ci est largement attribuable «à YouTube et au bouche-à-oreille». La suite, en tout cas, ne semble pas l'effrayer.

Conscient des enjeux, il se prête calmement au jeu de la promotion (une dizaine d'entrevues en deux jours) et se laisse emporter par le torrent avec un point en tête: «rester focus».

Bizarrement, Loud n'a pas vraiment été biberonné au rap français. S'il a écouté les grands noms - IAM en tête -, ce fils de profs, élevé à Ahuntsic, se revendique plus du rap américain.

Est-ce par lui que le rap québécois s'imposera au pays de Booba et de PNL? Même si les astres semblent s'aligner, le journaliste Geno Maestro préfère rester prudent. Car pour l'instant, Loud reste un «artiste émergent» dans un marché hostile et gavé de poids lourds.

«Que les médias en parlent, c'est bon signe, conclut ce spécialiste du rap français. Mais il ne peut pas se reposer là-dessus. Il doit maintenant consolider sa base de fans en envoyant plus de bonne musique...»

Loud en bref

Le rappeur s'est d'abord fait connaître au sein du trio Loud Lary Ajust (2010-2016) avant de faire cavalier seul. Son premier album (Une année record) a été lancé l'automne dernier au Québec, quelques mois après la sortie du clip 56 K. Une belle galette de rap minimaliste, parfois mélancolique, aux textes riches et au lexique franglais hyper montréalisé, exactement ce qui plaît à nos cousins.

Photo Marco Campanozzi, Archives La Presse

Le rappeur Loud