Requiem pour une idole: la France se prépare à dire adieu à un de ses plus grands monuments de la chanson populaire française, Johnny Hallyday, lors d'un hommage exceptionnel et très rock'n roll samedi à Paris.

Combien seront-ils ? Des centaines de milliers ? Des millions ? Les Champs Elysées devraient être noirs de monde pour saluer une dernière fois le rocker avant ses funérailles prévues lundi dans l'île des Caraïbes de Saint-Barthélemy.

Dès vendredi, les fans du chanteur, décédé dans la nuit de mardi à mercredi à l'âge de 74 ans, ont commencé à affluer, en bus, en train, en voiture et évidemment à moto pour se rassembler à Paris où la Tour Eiffel fait clignoter depuis vendredi le simple message «Merci Johnny».

Tous réunis pour un hommage aussi exceptionnel que rare pour un artiste. Cette semaine à l'Assemblée nationale, une députée a comparé sa disparition à celle de l'écrivain Victor Hugo, dont le convoi funéraire avait descendu les Champs-Elysées en 1885, suivi par deux millions de personnes selon la presse de l'époque.

Le cortège funéraire de Johnny empruntera lui aussi la «plus célèbre avenue du monde» à partir de 11h en direction de l'église de la Madeleine, où aura lieu une cérémonie religieuse, à laquelle assisteront la famille et les proches.

Le président français Emmanuel Macron, qui a qualifié Johnny de «héros national» prendra brièvement la parole pendant la cérémonie diffusée sur grands écrans et à la télévision.

Convoi de motards

L'ancien chef de l'État Nicolas Sarkozy, qui avait marié Johnny et Laeticia Hallyday à Neuilly en 1996, sera lui aussi présent.

«C'est un pan entier de nos vies qui disparaît», a-t-il déclaré en se recueillant vendredi avec son épouse Carla Bruni devant la dépouille du chanteur au funérarium du Mont-Valérien, en banlieue parisienne.

Si les modalités de l'hommage samedi ont été arrêtées par les enfants de Johnny, Laura Smet et David Hallyday, avec Brigitte Macron qui les a reçus jeudi à l'Elysée, l'événement sera fidèle à «certaines envies glissées» par le chanteur lui-même, a dit Sébastien Farran, le manager de la star morte des suites d'un cancer des poumons.

«Il faut que ça reste rock'n roll, très axé sur la musique, qu'il y ait des motos et des bikers qui l'accompagnent et qu'il soit proche de son public et de ses fans», a-t-il précisé.

Quelque 500 à 700 motards suivront donc le convoi du rockeur. L'un de ceux qui espèrent faire partie du cortège, Thierry Gondoin, a confié à l'AFP: c'est «comme si on roulait encore avec lui».

«Un grand frère»

De la musique «live» sera également jouée par les musiciens de Johnny, mais sans chanteur, sur une scène montée sur le parvis de la place de la Madeleine.

Près de 1500 policiers et gendarmes sont dédiés à la sécurisation de l'événement et un important périmètre de protection a été mis en place.

Très proche de ses fans, Johnny laisse un vide immense. «En fait Johnny, c'est un membre de la famille. On est né, on a vécu toujours avec Johnny. C'est un grand frère, un cousin éloigné. De temps en temps, on n'était pas toujours d'accord avec ce qu'il faisait, mais on lui pardonnait tout», explique Laurent Lavige, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages sur le rocker.

Pour certains, la tristesse est teintée de regret, celui de voir l'artiste partir loin d'eux, à Saint-Barthélemy, où il possède une propriété et où il doit être inhumé lundi en fin de matinée.

Le chanteur Michel Polnareff a ainsi jugé «étrange que l'on soustraie l'enveloppe de Johnny à son public». Mais ses admirateurs respectent le choix du défunt et certains commencent déjà à économiser en vue du pèlerinage.

«Si c'est son souhait, je respecte ça, pas de problème», dit François Le Lay, fan de Johnny depuis 1972. C'est vrai qu'on aurait préféré qu'il soit enterré à Paris. Mais si c'est Saint-Barth, on va faire en sorte avec mon épouse de mettre de l'argent de côté pour pouvoir y aller, l'argent qu'on investissait avant dans ses concerts.»

Une des facettes de l'identité française

 Le chanteur Johnny Hallyday a accompagné la France pendant 50 ans, épousant les courbes, les virages de sa société, au point de fusionner avec l'inconscient national, faisant chair avec un pays qui lui rendra samedi un «hommage populaire» exceptionnel.

«Johnny est devenu un monument national, qui trimbalait malgré lui l'histoire d'un pays et des émotions très particulières», résume Amanda Sthers, une des  biographes de la star nationale, décédée mercredi à 74 ans d'un cancer du poumon.

Dans la France de l'après-guerre, qui se redresse économiquement notamment grâce à l'argent américain du plan Marshall, la musique française garde elle une saveur d'avant-guerre et la jeunesse voit débarquer Johnny Hallyday, qui va dynamiter le paysage en important le rock, en français.

«Il y a un avant et un après Johnny Hallyday», explique Michka Assyas, auteur du «Nouveau dictionnaire du rock».

À ce titre, «il représente énormément pour les Français», affirme Didier Varrod, journaliste à la radio France Inter. «Il est arrivé imprégné de la culture américaine, avec James Dean puis Elvis Presley pour héros. On l'a tôt surnommé «l'Elvis Presley français», mais dans les nombreux foyers qui n'avaient pas la télévision, la figure emblématique de cette musique américaine qu'on ne connaît pas encore, c'est Johnny Hallyday.»

Tous les Français connaissent Johnny

Pour autant, il serait simpliste de résumer Johnny à l'idole d'une génération de baby-boomers qui a du mal à tourner la page de sa jeunesse dorée dans la France insouciante des 30 glorieuses. Au fil des décennies, surpassant les modes, s'adaptant constamment, le chanteur aux origines modestes, sans le vouloir, a endossé un costume bien plus grand que celui de simple rockstar.

Aujourd'hui, qu'ils soient sexagénaires se souvenant de ses débuts, qu'ils soient quadragénaires ayant grandi au rythme de ses succès, des Unes de la presse sur sa vie amoureuse ou ayant ri de sa marionnette à la télévision aux «Guignols de l'info», qu'ils soient plus jeunes encore, tous les Français connaissent Johnny.

Il était devenu une de ces «personnes de chair et de sang qui avaient réussi le tour de force de parvenir à incarner une identité culturelle singulière (...) à donner corps à cette abstraction qui se veut universelle, la culture française», selon le philosophe et ancien ministre Luc Ferry, dans une tribune dans Le Figaro.

C'est ce qui peut expliquer par exemple qu'un jeune footballeur international de 31 ans, Adil Rami, défenseur du prestigieux club de l'Olympique de Marseille explique en conférence de presse: «j'ai des musiques de lui dans mon téléphone et souvent dans les douches je chante ses chansons», avant d'entonner le refrain de «Toute la musique que j'aime».

Johnny Hallyday a accompagné les Français depuis 50 ans. Fans ou pas, dans les moments fastes ou tragiques, ils ont vu, entendu Johnny, devenu le chanteur quasi-officiel d'un pays dirigé par ces baby-boomers qu'il avait ensorcelés.

L'année où la France est championne du monde de football, en 1998, la star organise des concerts monstres dans la glorieuse enceinte du stade de France et personne dans le pays ne peut échapper à Allumer le feu.

Après les attentats de 2015, Johnny, qui a déclaré que s'il n'était pas chanteur, il prendrait les armes contre Daech, chante «un dimanche de janvier».

«Résistance culturelle»

Bien sûr, celui qui a vendu environ 100 millions de disques en près de 60 ans de carrière, n'est plus «l'idole des jeunes» d'aujourd'hui, biberonnés à d'autres musiques pour assouvir leur propre soif de transgression, mais même la génération Z, les natifs de l'an 2000, connaissent le phénomène.

«Je ne suis pas spécialement fan, mais il était incontournable», explique Grégory, un collégien de 14 ans.

«On ne peut pas dire qu'on ne le connaît pas» explique Naoelle, 18 ans et étudiante à Paris-Descartes, qui l'écoute de temps en temps. «C'est pas de notre génération, ça ne nous parle pas vraiment», estime son ami Zineddine, 18 ans. Mais il connaît quand même Allumer le feu et Marie.

Comme le résume le correspondant en France du journal britannique The Guardian, qui à l'instar de ses confrères, a eu la tâche ardue d'expliquer aux Anglo-Saxons qui était cet homme dont le nom sonnait américain mais qui était relativement inconnu hors de la Francophonie: «Il a débuté comme un demi-Belge «corrupteur de la jeunesse de France» et terminé en totem national, symbole de la résistance culturelle française».