L'Amérique de Trump, le drame des réfugiés, la mort: U2 et son leader Bono reviennent avec Songs of Experience, un 14e opus engagé qui réserve de bonnes surprises, mais dont la sortie, vendredi dernier, ne s'est pourtant accompagnée d'aucune promotion.

Trois ans séparent Songs of Experience de son prédécesseur Songs of Innocence. Ils forment un diptyque dont le titre est emprunté au recueil Songs of Innocence and Experience, du poète et peintre britannique William Blake.

Dans le premier volume, Bono abordait avec nostalgie, mais sans grande inspiration, la genèse de son groupe, ses rêves de jeunesse. Dans le second, composé de 13 chansons, il évoque avec la même approche confessionnelle ses préoccupations actuelles, s'adressant à ses proches, ses admirateurs et encore une fois l'Amérique.

Cette Amérique qui l'a tant fait rêver, qu'il a pourtant égratignée, mais conquise en 1987, en pleine période Ronald Reagan, avec The Joshua Tree, plus gros succès commercial de U2 (30 millions d'albums vendus). Cette Amérique, désormais sous l'ère Donald Trump, qu'il juge souffrante et divisée.

L'ombre du président américain plane sur cet album qui sort avec un an de retard sur la planification prévue. L'arrivée à la Maison-Blanche de Trump a obligé Bono à revoir sa copie et densifier ses messages. «Il y a un tyran sur la chaire. Le silence n'est pas une option», justifiait-il en septembre au magazine américain Rolling Stones.

Il enjoint ainsi les Américains de «ne pas subir ça en se couchant, mais de mordre en retour, car le visage de la Liberté commence à se fissurer» («Don't take it lying down / You got to bite back / The face of Liberty's starting to crack») dans Get Out of Your Own Way.

Sur le percutant American Soul, l'Irlandais de 57 ans voit encore en l'Amérique un idéal. «Ce pays n'est pas un endroit, mais une pensée qui offre la grâce» («It's not a place / This country to me is a thought that offers grace»).

Kendrick Lamar prédicateur

Comme un symbole de ce que les États-Unis offrent de meilleur, c'est une de ses plus talentueuses voix, le rappeur Kendrick Lamar, qui assure en mode prédicateur la transition entre ces deux titres.

Depuis quarante ans que Bono écrit des chansons, son plus fidèle compagnon est la Bible. Mais sa plus grande inspiration reste sa femme Ali, à qui il s'adresse sur You're The Best Thing About Me.

La mort l'inquiète dans Lights of Home. «I Shouldn't be here because I should be dead» («Je ne devrais pas être là parce que je devrais être mort»), chante Bono qui eut un grave accident de vélo en 2015.

Il est difficile de reprocher à U2 de manquer d'ambition. Que ce soit pour ses concerts gigantesques ou pour mener campagne pour la défense des droits de l'homme. Summer of Love, et Red Flag Day qui ramène efficacement aux années War (1983), évoquent le drame des réfugiés.

Après avoir joué dans les stades du monde entier entre avril et octobre, pour célébrer les 30 ans de The Joshua Tree, U2 n'a quasiment pas assuré de promotion cet hiver pour «Songs of Experience».

Les Irlandais n'occupent pas le terrain comme ils le firent à leurs dépens en 2014, lorsque Songs of Innocence fut automatiquement intégré dans les bibliothèques Itunes de 500 millions d'utilisateurs. Une incitation à l'achat très mal reçue qui obligea le groupe à s'excuser.

Début novembre, Bono a été visé par les Paradise Papers. Selon l'enquête du Consortium international des journalistes d'investigation, il est actionnaire d'une entreprise maltaise qui aurait investi dans un centre commercial lituanien. Le tout via une holding lituanienne qui aurait recouru à des techniques d'optimisation fiscale illégales.

Pour Bono, qui chante «Paradise is a place you can see when it's yours» («Le paradis est un endroit que tu peux voir quand c'est le tien») dans Red Flag Day, ce coup de projecteur est assez mal tombé.