Le film Titanic et la chanson My Heart Will Go On sont indissociables l'un de l'autre depuis 20 ans. Voici, racontée par Céline Dion et deux des architectes du triomphe de My Heart Will Go On, la petite histoire de son plus grand succès en carrière...  qu'elle ne voulait même pas enregistrer au départ.

La proposition

En 1997, le téléphone sonne au bureau de Paul Farberman, vice-président Affaires de la 20th Century Fox, à Los Angeles. Celui-ci vient alors de remettre sa démission à ses patrons pour aller travailler avec Céline Dion et René Angélil, qu'il avait rencontrés 10 ans plus tôt lorsqu'il travaillait chez CBS Canada, la compagnie de disques avec laquelle la chanteuse avait enregistré l'album Incognito.

Paul Farberman: «James [Horner] a fini de composer la musique pour le film Titanic et il trouve que le thème qui traverse le film fait une bonne chanson qu'il a écrite avec le parolier Will Jennings. Il veut la faire entendre à Céline. Ni James Cameron, le réalisateur du film, ni son producteur Jon Landau ne connaissent l'existence de cette chanson parce que Cameron a été très clair: il ne veut dans son film que la musique instrumentale de Horner et des airs qu'on aurait joués à l'époque sur le Titanic, mais pas de grande chanson interprétée par Céline Dion, Whitney Houston ou Mariah Carey. Céline et René passaient justement par Las Vegas et nous sommes allés les retrouver dans une suite du Caesars Palace. James Horner s'est assis au piano et a essayé de chanter sa chanson, mais il ne savait pas vraiment chanter. René a dit: "Céline devrait faire une maquette de la chanson". Or, Gorfaine et Horner n'étaient pas venus demander à Céline d'enregistrer une maquette, ils voulaient qu'elle interprète leur chanson. "Si James Cameron doit écouter cette chanson, vaut mieux qu'il l'entende chantée par Céline pour qu'il apprécie pleinement ce que ça peut donner", leur a répondu René.»

Céline Dion: «Moi, j'étais sur le divan derrière le piano et je faisais un signe de couteau sous la gorge à René en voulant dire "pas question, on a fait Because You Loved Me, ça monte, on ne va pas se planter avec une toune, et en plus le gars chante mal". René a dit à James Horner: "Je ne veux pas t'insulter, mais t'es pas le meilleur chanteur au monde, tu ne rends pas justice à ta chanson." Tout le monde riait, mais moi, je ne riais pas. Quand René a proposé qu'on aille faire une maquette à New York, je voulais le tuer. Je savais que si je faisais une maquette, fallait que c'en soit toute une parce qu'ils allaient mettre le paquet, eux autres.»

La maquette

John Doelp, producteur exécutif des albums en anglais de Céline Dion et vice-président sénior Artistes et répertoires du label Columbia, était au studio new-yorkais The Hit Factory le 22 mai 1997 quand Céline Dion a posé sa voix sur la piste musicale sommaire de James Horner, jouée aux claviers.

John Doelp: «Céline n'avait jamais fait de maquette auparavant. Elle l'a fait par respect pour James Horner. Elle est arrivée en studio, elle l'a faite en une prise et elle nous a tous soufflés.»

Céline Dion: «J'arrive en studio, j'ai mes règles, j'ai mal au ventre, je prends un café noir avec deux sucres et ma voix n'est pas prête. Pas grave, c'est une maquette. On m'a raconté le film et je suis émue, je trouve l'histoire belle. Mais James Cameron ne veut pas de chanson dans son film, donc ça part mal. Je chante la chanson une fois et ils disent qu'ils vont bâtir une orchestration autour de ça. Le monde braille en studio: "Ça va être beau!" J'ai fait de mon mieux, je ne voulais pas détruire la chanson, j'ai quand même un peu de fierté... James Horner a dit qu'il la ferait entendre à James Cameron sans lui dire qui chantait. Good luck! Je n'ai jamais fait d'autre enregistrement professionnel de cette chanson même si je l'ai chantée 3 464 000 fois depuis.»

John Doelp: «On voulait pour l'album Let's Talk About Love une chanson pop qui marche à la radio. Nous avons fourni au réalisateur Walter Afanasieff la bande avec la voix de Céline et il a construit à partir de ça. C'est une version très distincte qu'on entend sur l'album de la bande originale du film Titanic, mais c'est la même piste vocale. On n'a pas entendu ce qu'ils faisaient pour la bande originale et ils n'ont pas entendu notre version pour l'album.»

Le doute

En août 1997, Céline Dion, René Angélil, leur équipe, les producteurs du film, les patrons de Sony et une survivante du naufrage du Titanic ont droit à un visionnement privé du film, avec la chanson My Heart Will Go On pendant que défile le générique, dans les bureaux de la Paramount à New York.

Paul Farberman: «J'étais assis derrière René et Céline qui pleuraient. James Cameron avait été très clair: pas question qu'on entende une seule note de la chanson avant le générique. Le lendemain, on avait un meeting chez Sony dont les gens estimaient qu'il valait mieux ne pas s'associer à ce film. D'abord, Titanic était très long et la version qu'on avait vue la veille faisait au moins 20 minutes de plus que la version finale. Et puis tout ce qu'on avait entendu ou lu à propos du film dans le Variety ou le Hollywood Reporter était négatif. Un cauchemar qui n'augurait rien de bon pour Céline. C'est alors que René s'est levé et a pris la parole: "Je suis un joueur et je vais parier qu'on a un gagnant."»

John Doelp: «Je ne veux pas parler pour les autres, mais, personnellement, j'ai adoré le film. Je trouvais la chanson fantastique et qu'on avait une occasion incroyable. Du point de vue de notre équipe, l'équipe de Céline, on allait de l'avant.»

L'envol

L'album Let's Talk About Love et celui de la bande originale du film Titanic ont été lancés le 18 novembre, un mois avant la sortie du film.

John Doelp: «Quand le film est sorti, la chanson s'est hissée au sommet des palmarès. Pour qu'une chanson marche aussi fort, il faut que le film ait beaucoup de succès. Mais l'une des clés du succès du film, c'est son thème musical qui est présent d'un bout à l'autre, on ne peut y échapper. Donc quand Céline le chante à la fin, c'est énorme.»

Comme le film Titanic, My Heart Will Go On a raflé tous les grands honneurs en 1998. Mais c'est lors de la cérémonie des Oscars que Céline Dion a mesuré pour la première fois l'ampleur du phénomène.

Céline Dion: «Il y avait un orchestre tout de blanc vêtu et je m'étais fait faire une robe à collet haut, manches longues, très ajustée, j'avais les cheveux attachés, c'était très classy. Je portais le collier Le coeur de l'océan d'Asprey & Garrard qui valait 20 millions ou 200 millions, je ne m'en rappelle même plus. J'avais un paquet de gardes du corps et je pensais qu'ils étaient là pour moi, mais c'était pour le collier. C'était assez impressionnant de chanter cette chanson aux Oscars. J'ai commencé à sentir à ce moment-là que My Heart Will Go On ferait partie du reste de ma vie.»

Photo Eric Charbonneau, Berliner Studios

Céline avec le compositeur James Horner lors de la première de Titanic.

La pérennité

John Doelp: «Aux États-Unis, on vendait 1 million de disques par semaine, 500 000 de chaque album, Let's Talk About Love et la bande originale de Titanic. Je sais que dans le monde, il s'est vendu plus de 30 millions d'exemplaires de chacun des albums. Soixante millions de personnes ont donc acheté cette chanson, c'est assez phénoménal.»

Depuis 20 ans, Céline Dion se doit de chanter My Heart Will Go On en rappel dans tous ses spectacles, à Las Vegas ou en tournée.

Céline Dion: «On l'a placée au début du spectacle, au milieu, mais quand la chanson se termine, les gens s'en vont, ils pensent que le show est fini. René avait raison, encore une fois, et on l'a remise à la fin. Quand dans ton répertoire, t'as un classique, t'es pas mal chanceux. Les DJ les plus populaires au monde jouent My Heart Will Go On dans les discothèques, c'est quand même pas moi qui veux ça... James Cameron, quand on se voit, on n'a pas grand-chose à se dire: il ne me voulait pas et moi, je ne le voulais pas non plus. Donc on se félicite d'avoir écouté James Horner et René. Ces deux gars-là doivent regarder en bas et se dire: "Hey, la petite, elle a bien fait de nous faire confiance".»

Paul Farberman: «Tu peux prendre toutes les plus grandes voix, mais personne ne peut la chanter comme elle. De toute façon, on a tellement entendu cette chanson que c'est sa voix qu'on a toujours en tête. Parfois, on me demande ce que je fais dans la vie et quand je parle de Céline Dion, il arrive qu'ailleurs dans le monde, on ne connaisse pas son nom. Mais quand j'ajoute Titanic et My Heart Will Go On, tout le monde connaît ça.»

Il y a quelques années, Kate Winslet, la vedette du film Titanic, a dit que My Heart Will Go On lui donnait envie de vomir tellement cette chanson la suivait partout bien malgré elle.

Céline Dion: «Elle n'est tellement plus capable que ça lui donne mal au coeur. Une chance qu'elle n'a pas eu à la chanter. Parfois, honnêtement, je me dis qu'elle ne s'appelle plus Titanic, mais Titannée. On est-ti tannés là? Mais quand le monde est debout, t'es pas vraiment Titannée. Tous les soirs quand la toune part, je ne pense même plus que ça fait 3 millions de fois que je la chante. La réaction du monde est instantanée, les visages changent, les larmes coulent, les gens se rapprochent, se font des câlins, se tiennent la main. Le bonheur.»

Photo fournie par Productions Feeling

Céline avec le collier le Coeur de l'océan au Beverly Hills Hotel quelques heures avant la cérémonie des Oscars, en 1998.