Rappeurs conscientisés qui s'engagent dans quelques lignes sexistes, marchandisation de la femme dans les vidéoclips, star du web accusée de proxénétisme, voix féminines sous-représentées: il reste du chemin à faire quant à la représentation des femmes dans le hip-hop.

Progresse ou régresse, la représentation de la femme dans le rap québécois ? Un peu des deux, montre une humble radiographie de la scène hip-hop.

Si une génération de rappeurs se dit de plus en plus conscientisée à la «culture du viol» et aux combats féministes, le gangsta rap fourbit ses armes plus que jamais. Qu'il soit parodique ou incarné, ce style ancré dans la criminalité réduit souvent la femme à un produit de consommation. L'un de ses chantres les plus populaires, Enima, est d'ailleurs accusé de proxénétisme en Ontario.

«Pour être honnête, je ne pense pas qu'il y a un changement radical parce qu'on parle plus de certains enjeux», soutient d'emblée la rappeuse féministe Sarahmée.

Membre d'Alaclair Ensemble, Maybe Watson remarque que les rappeurs sont confrontés à un important travail de réapprentissage, coincés entre les influences misogynes du hip-hop et les nouvelles normes sociales.

«J'ai toujours été très, très soft, mais mes idoles sont tous des gens qui disent et font des trucs pas chill», admet celui dont la formation défend peut-être les textes les plus inoffensifs du rap québ.

«Je considère que mon rap est épuré de toutes ces affaires-là, mais [...] il faut que je me watche, tout en étant capable d'exprimer ma rage, que ça sorte sur un disque et que ce soit bon.»

«Bitch» par-ci, «bitch» par-là

Il y a environ 10 ans, un large public découvrait les rimes pornographiques et parfois violentes de Black Taboo. Selon l'un de ses membres, Richard «Mangemarais», le Québec est beaucoup plus chatouilleux par rapport à l'imaginaire du gangsta rap.

«Aux États-Unis, Ice Cube est devenu acteur dans des films pour enfants. Les médias et le public ne lui remettent pas sans cesse ses titres controversés en plein visage. [...] Au Québec, le phénomène du gangsta rap ne fait pas partie de la culture populaire.»

Et que dire du mot «bitch» (chienne), qui demeure l'un des termes préférés du lexique hip-hop? «Tout est dans le traitement et dans la manière, explique Sarahmée. Si tu m'appelles "bitch", je vais me retourner et te donner une claque. S'il y a un contexte, et que tu juges que c'est le mot qui traduit le mieux ton sentiment, pourquoi pas? Il ne faut pas prendre tout au pied de la lettre.»

L'historien, conférencier et rappeur Webster rappelle que «le mot "bitch", comme le terme "nigger", est parfois utilisé de manière positive à l'intérieur d'une communauté particulière».

«Limiter le rap et la culture hip-hop à "bitch" et à son côté commercialisé, misogyne, c'est très réducteur pour les filles qui font du rap, qui ont à se démener dans un milieu d'hommes et parfois machiste. On réduit l'apport que ces femmes ont à la culture hip-hop.»

Selon la militante féministe et professeure de littérature Martine Delvaux, le racisme et la misogynie dans le hip-hop s'inscrivent dans un contexte plus large, qui intervient autant dans la musique «coast to coast» que dans le cinéma, la littérature ou le théâtre.

«C'est trop facile de casser du sucre sur le rap, associé à la communauté noire. Dans notre lecture du hip-hop, il y a beaucoup de stéréotypes. C'est d'emblée perçu comme toxique, comme dangereux. On sort souvent des mots du lot sans regarder ce qu'ils veulent dire.»

Les intervenants sont unanimes: les énergies doivent cibler avant tout ceux qui relaient et reçoivent le message, et non le message lui-même, impossible à contrôler.

«On a un devoir d'éducation en tant que société, parent, diffuseur ou auditeur, dit Webster. L'aspect négatif du hip-hop a une influence sur les femmes, sur leur sexualité, mais la chaîne ne se limite pas à l'artiste.»

Place aux femmes

Samuel Daigle-Garneau, chroniqueur principal pour le site spécialisé en rap HHQc.com, avoue qu'il doit lui-même casser certains réflexes. «Je suis sensible à la cause, mais je fais aussi partie du problème. Dans un article récent, j'ai proposé un jury pour l'ADISQ, et il était composé uniquement d'hommes. Ça reste un milieu très masculin.»

Sarahmée, qui assure avoir toujours été respectée par ses collègues, en appelle à la détermination des rappeuses, et à l'ouverture de leurs pairs.

«Quand on parle de féminisme, l'intervenant est souvent un mâle blanc hétérosexuel. Au lieu de chialer, il faut prendre notre place, faire un move. Les femmes de l'industrie se tiennent de plus en plus.»

Dans ses ateliers d'écriture, Webster tente justement d'armer une nouvelle génération de rappeuses. «Je parle beaucoup de l'exemple du Brésil, où j'étais il y a quelques mois: j'ai été impressionné par la scène hip-hop, par la place des femmes. Je nous ai trouvés très en retard.»

Photo Erick Labbé, Archives Le Soleil

Le rappeur Webster