Le spectacle unique qui a rendu hommage à Leonard Cohen, hier soir au Centre Bell, a sans doute été improvisé en partie jusqu'à la toute fin. Mais il y avait dans ce témoignage artistique très senti une admiration tangible qui soulignait l'envergure poétique mais également musicale de l'artiste disparu il y a un an.

L'ÉMOTION

Adam Cohen a déjà chanté sur scène la chanson So Long Marianne de son père. Hier, c'était autre chose. Oui, il y a un peu de Leonard dans la voix d'Adam, mais aussi dans son esprit. Et son intelligence qui lui fait réciter à la toute fin de la chanson la lettre d'adieu de Leonard à Marianne Ihlen, bouleversante, le poète disant à sa muse d'antan qu'il va bientôt aller la rejoindre dans un autre monde.

Parmi les grands moments d'émotion, citons également, à l'écran, Leonard Cohen qui récite en spectacle son poème A Thousand Kisses Deep sur fond de synthés ainsi que les images inédites du vieil homme affaibli entouré de sa famille dans sa maison de Los Angeles.

LA SURPRISE

Comme le faisait Leonard Cohen dans ses dernières tournées, la deuxième partie du concert commence par Tower of Song. On éclaire le clavier au centre de la scène sur lequel il jouerait les premières notes cheapo, mais c'est la chorale de la synagogue Shaar Hashomayim qui chante à sa place. Plus fort encore, voilà que, sur vidéo, se relaient tour à tour Willie Nelson, Céline Dion - qui se met en bouche la fameuse ligne pleine d'autodérision de Cohen : « I was born with the gift of a golden voice » -, Peter Gabriel et Chris Martin, de Coldplay. Et le tout se termine sur l'écran où Leonard Cohen, en spectacle, partage avec son public complice la clé du mystère de la vie : Diu dam dam dou dou dam dam. Délicieux.

LE ROCK'N'ROLL

Oui, Courtney Love est venue jouer la rockeuse sexy le temps de Everybody Knows mais en fait d'énergie rock'n'roll, c'est Elvis Costello qui l'a emporté haut la main avec son interprétation de The Future. Tout y était : l'attitude, la fougue, juste ce qu'il fallait de rage et d'insolence dans le chant sur un accompagnement blues-rock vitaminé. Et voilà les cordes et les cuivres qui se mettent de la partie dans un bordel apocalyptique qui colle parfaitement à la chanson. Et, sans qu'on s'y attende, Javier Mas, le compagnon de route espagnol de Cohen, s'immisce dans ce beau délire avec sa bandurria. Wow !

L'INTENSITÉ

Sur ce terrain, difficile de surpasser k.d. lang qui nous a servi un Hallelujah encore plus théâtral qu'à l'habitude. Pourtant, c'est Damien Rice qui nous a encore plus impressionnés par son interprétation dépouillée, très fidèle, enrichie d'un crescendo orchestral, de la magnifique Famous Blue Raincoat. Le monsieur était habité, possédé, voire presque transfiguré mais en même temps très intérieur, comme s'il avait si bien intégré la chanson sombre de Leonard Cohen qu'il n'avait pas besoin d'en rajouter. La magie de l'artiste disparu, qui donnait l'impression de regarder le spectacle depuis sa fenêtre tout en haut sur l'écran derrière, était intacte sur la scène du Centre Bell.

L'HUMOUR

Ceux qui ont bien connu Leonard Cohen ont goûté son humour. Sa complice Sharon Robinson s'en est inspirée pour oser I'm Your Man sur un rythme R & B. Un clin d'oeil que Cohen aurait apprécié, lui dont l'autodérision et l'esprit, avec souvent une bonne ligne que lui auraient enviée les stand-up comiques, ont été en évidence tout au long de la soirée sur les extraits filmés projetés sur les écrans de chaque côté de la scène.

LE VERDICT

Adam Cohen a eu raison de parler de la générosité des chanteurs et musiciens, dont le guitariste Marc Ribot et Javier Mas, ovationné. Mais tout dans ce spectacle qui a fait salle comble était remarquable, du décor très classe aux extraits vidéo pertinents. Il y avait dans cet hommage senti des versions fort différentes de ce que Leonard Cohen nous a donné à entendre au fil de sa carrière, mais aussi des trucs plus fidèles. Patrick Watson a mis la barre haut tôt dans la soirée avec une version magnifique, planante, éthérée de Who By Fire. Plus tard, la chanteuse soul Bettye Lavette s'est appropriée In My Secret Life comme si elle avait été écrite pour elle. Sting, qui nous a paru moins allumé que la moyenne, a sauvé la mise avec sa version trempée dans le folklore britannique de Sisters of Mercy, qu'on avait déjà entendue sur disque. Et les Lumineers nous ont rappelé la pertinence de Leonard Cohen en faisant de sa Democracy une protest song folk des années 60 tout à fait actuelle. Tous ensemble, ils ont fait revivre Leonard Cohen sous nos yeux.

Liste des chansons jouées au spectacle:

Dance Me To End Of Love (Sting)

Hey That's No Way To Say Goodbye (Feist)

Who By The Fire (Patrick Watson)

I Am Your Man (Sharon Robinson)

Democracy (Wesley Schultz et Jeremiah Fraites du groupe The Lumineers)

Suzanne (Ron Sexsmith)

The Future (Elvis Costello)

Famous Blue Raincoat (Damien Rice)

So long Marianne (Adam Cohen et The Webb Sisters)

Hallelujah (k.d. lang)

Tower of Song (Sur vidéo Céline Dion, Peter Gabriel et Chris Martin)

Sisters of Mercy (Sting)

Chelsea Hotel (Lana Del Rey et Adam Cohen)

In My Secret Life (Bettye Lavette)

Everybody Knows (Courtney Love)

Field Commander (lu par Seth Rogen)

If It Be Your Will (Borns et The Webb Sisters)

The Partisan (Adam Cohen, Damien Rice et Coeur de pirate)

Bird On The Wire (Elvis Costello)

Anthem (Sting)

You Want It Darker (La voix de Leonard Cohen avec la chorale Shaar Hashomayim)

Coming Back To You (Adam Cohen)

Closing Time (Basia Bulat)