Ishmael Butler était jadis Butterfly au sein du groupe rap-jazz Digable Planets, très prisé au cours des années 90. Sous la bannière Shabazz Palaces depuis 2009, il est devenu Palaceer Lazaro et fait équipe avec le multi-instrumentiste Tendai «Baba» Maraire, fils d'un virtuose du mbira originaire du Zimbabwe, Abraham Dumisani Maraire.

Le tandem a créé quatre albums depuis 2011, dont une paire toute récente et très prisée par l'aile gauche du hip-hop: Quazarz: Born on a Gangster Star et Quazarz vs. The Jealous Machines, sous étiquette Sub Pop.

Les Palais de Shabazz réfèrent-ils à la mythique Tribu de Shabazz, une des treize nations originelles d'Afrique inscrites dans la théologie de la Nation of Islam? Selon cette organisation afro-américaine pour le moins controversée (mystère autour de l'assassinat de Malcolm X, etc.), la Tribu de Shabazz serait à l'origine de la diaspora africaine, à commencer par celle des Noirs américains.

Alors? Dans le cas qui nous occupe, il n'est ni question de militantisme afro-américain ni de dogmatisme idéologique, encore moins de crispation religieuse. Il s'agit plutôt d'une évocation indirecte, comme c'est le cas dans l'oeuvre entière de Shabazz Palaces.

L'instinct l'emporte

La Presse a joint Ishmael Butler à Seattle, où il est né et où il est retourné vivre après avoir étudié au Massachusetts pour ensuite migrer à Brooklyn et y mener les destinées de l'excellent groupe Digable Planets - l'aventure dura de la fin des années 80 jusqu'au milieu des années 90, sans compter des réunions sporadiques sur scène depuis 2005.

À l'évidence, notre interviewé n'aime pas coller quelque sens clair à son art.

«Nos influences et notre approche proviennent de notre subconscient, de nos histoires familiales, de nos origines sociales ou raciales, de notre psyché, de notre culture, de nos goûts musicaux, de nos films préférés, etc. Je n'essaie pas de retracer précisément ce qui m'a construit. Cela dit, je sais d'où ça provient...»

On aura deviné que notre interviewé refuse de décrire ou analyser ce qui est accompli à travers son projet artistique.

«Je ne cherche pas à produire d'explications, je recommande plutôt à l'auditoire d'écouter, de regarder, de ressentir et... peut-être de mener une discussion subséquente sur les impressions reçues. Bien sûr, Shabazz Palaces est issu de la culture hip-hop, mais tout ce qui sort de groupe n'est pas forcément lié à des catégories culturelles ou genres musicaux. Pour nous, l'instinct l'emporte largement. Stylistiquement, c'est du rap, mais l'expression générale provient de plusieurs genres musicaux. Ces jours-ci, par exemple, j'écoute la musique de Connan Mockasin, de feue Alice Coltrane ou d'Ahmed Naji, trois artistes qui n'ont rien à voir directement avec le hip-hop.»

Poétiquement, l'évocation de Shabazz Palaces est aussi indirecte. On l'observe à travers la trame narrative des albums jumeaux du tandem: un «émissaire» venu en «Amurderca» y observe les dégâts causés par la violence d'un genre humain en proie au gangstérisme et autres déviances barbares.

S'il assume son excentricité littéraire, Ishmael Butler réfute l'afro-futurisme que lui prêtent plusieurs observateurs et critiques.

«La notion d'afro-futurisme est très mince, soutient Ishmael Butler. Elle tend à décrire une palette très vaste d'expressions afro-américaines et les confine à une catégorie simpliste.»

«Je comprends mal pourquoi il faut ainsi qualifier toutes les expressions des artistes noirs enclins à l'avant-gardisme et aux nouvelles technologies. En procédant ainsi, on ghettoïse et on inscrit cette catégorie dans une hiérarchie sociale ou raciale.»

Le musicien préfère justifier la métaphore centrale des deux opus de Shabazz Palaces: le quasar. Selon la définition offerte par Wikipédia, le quasar « est la région compacte entourant un trou noir supermassif au centre d'une galaxie massive ».

«Le quasar, précise à son tour Ishmael Butler, est le corps céleste le plus éloigné observé jusqu'à maintenant par les humains. S'y trouvent des planètes qui naissent, meurent et implosent, s'y trouvent aussi ces mystérieux trous noirs. Pour moi, le quasar devient une image, une analogie sur le genre humain ou la psychologie humaine. L'observateur de ma trame narrative vient d'on ne sait où, mais il vient assurément d'ailleurs; très loin de notre planète ou encore très loin à l'intérieur de nous-mêmes.»

Cette allégorie peut sembler futuriste, mais elle parle du présent, insiste notre interviewé.

«Ce n'est vraiment pas loin de la réalité; c'est la vie d'aujourd'hui et ce que nous ressentons de la période actuelle. Nous ne prétendons pas avoir une connaissance profonde des notions scientifiques ici évoquées. Nous nous y intéressons suffisamment pour être capables de construire des images littéraires sans souhaiter quelque explication définitive à nos observations.»

Sur scène, Shabazz Palaces souhaite poursuivre l'expérience menée en studio. 

«Nous reprenons les structures originelles des chansons, c'est environ 70 % de l'affaire... En fait, nous appréhendons le concert d'une manière différente de l'enregistrement qui est un point de départ. Le concert est l'occasion de poursuivre en direct le travail de composition, via le freestyle [rap] ou l'improvisation musicale. Nous y jouons plusieurs instruments, claviers, boîtes à rythmes, effets vocaux, etc.»

Prêts pour une... évocation indirecte?

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Au Théâtre Fairmount ce soir, 21h.