«J'ai voulu faire un disque d'anticipation politique, mais la réalité nous a rattrapés», constate amèrement le musicien anglais Damon Albarn, tête pensante du groupe Gorillaz, dont le cinquième album Humanz a imaginé «le pire des scénarios»: Donald Trump président des États-Unis.

Gorillaz est un groupe à part, en ceci qu'il est virtuel, composé de quatre membres fictifs animés (2D, Murdoc, Russel, Noodle). Ses deux démiurges, Albarn, pour les textes et la musique, Jamie Hewlett pour tout ce qui a trait aux visuels (clips, illustrations, scénographie), ont bâti depuis 2001 une oeuvre foisonnante, aux confins de la pop et du hip-hop, qui emprunte souvent à la science-fiction.

C'est dans cet esprit qu'en cherchant une trame de départ à Humanz, Damon Albarn imagine dès 2015 l'arrivée de Trump à la Maison-Blanche. Une hypothèse plutôt improbable à l'époque.

«Je ne croyais pas que Trump serait élu, souffle l'artiste, dépité. Je voulais d'abord faire un disque sur les États-Unis. L'idée était d'imaginer ce qu'il pourrait se passer là-bas si on arrivait à cette situation extrême.»

Sentiments ambivalents

«Je voulais faire en sorte d'exprimer des sentiments à la fois douloureux en raison de ce postulat et heureux par la réponse à y apporter», raconte Albarn qui a notamment convoqué au chant les grandes dames Grace Jones et Mavis Staples, le groupe de hip-hop De La Soul ou encore le rappeur Pusha T.

Les deux dernières chansons de l'album illustrent cette ambivalence: Hallelujah, qui fustige le pouvoir de l'argent et, sans jamais le nommer, son incarnation Donald Trump, est enchaînée avec We got the power où s'aimer les uns les autres serait l'antidote au virus.

«C'est une réponse un peu simpliste. Mais selon moi elle résonne comme une vérité», estime Albarn, ajoutant: «on ne peut pas éternellement rester amer vis-à-vis des gens qui ont fait de tels choix».

Hyperactif, celui qui est d'abord connu pour être le leader du groupe Blur est aussi un homme épuisé en ce matin de mars, au moment d'assurer la promotion du disque. Il est arrivé la veille de New York et la nuit a été manifestement courte et festive.

«Vous serez morts!»

Peinant à approfondir le propos de Humanz, cet opus très riche musicalement où, sous le chaos, perce une ambiance à la Ennio Morricone, il se ressaisit soudainement dès lors qu'il s'agit d'évoquer le Brexit.

«Vous ne pouvez pas imaginer à quel point c'est déprimant de devoir sortir de l'Europe. J'ai du mal à canaliser ma colère. Les gens qui ont voté pour le Brexit sont comme ceux qui en Amérique ont voté pour Trump: ils n'ont certainement jamais fait leurs valises un jour. Ils sont aveugles, ils pensent que fermer les frontières et devenir nationaliste est une bonne idée», peste-t-il.

«Je ne veux pas que les prochaines générations grandissent en ayant moins accès au monde. On est déjà une île! Une petite île! Et à ce titre on se doit d'être ouvert sur le monde. Nous ne pouvons pas nous refermer sur nous-mêmes. Ce vote est le vote des personnes âgées! Mais que proposez-vous à vos grands enfants? Vous serez morts dans dix ans! Morts! Vous n'auriez même pas dû voter!», s'emporte-t-il.

La colère retombée, le regard vide de Damon Albarn se pose sur une assiette qui vient de lui être servie. Dedans, deux oeufs mollets, entourés de tranches de saumon fumé, sur un lit de roquette.

«Je n'ai jamais vu des oeufs présentés comme ça, dit-il. C'est assez... artistique comme présentation. On dirait un truc de science-fiction. J'aurais plutôt dû imaginer quelque chose comme ça...»