Au croisement du post-punk, de la dark wave, du glam rock ou encore d'une dance pop aux traits bellement exagérés, la musique de Co/ntry résonne dans les souterrains de la cité.

Depuis quelques années déjà, la réputation de cet inclassable tandem anglo-montréalais s'est bâtie au fil d'épiques performances nocturnes, aux frontières de la finesse et de la déliquescence. L'heure d'une remontée à la surface de l'espace public est peut-être sonnée pour Co/ntry avec la parution de Cell Phone 1 (Fantôme Records), deuxième album dont la matière a été jouée dans la nuit de vendredi à samedi au Théâtre Fairmount.

Voici, d'entrée de jeu, la nette impression d'une conversation menée à la veille de ce lancement, soit dans un loft défraîchi du Mile Ex : Newfies d'origine et Montréalais d'adoption, Beaver Sheppard et David Whitten s'avèrent d'irrésistibles bêtes de création, créateurs volontairement bruts mais témoignant d'une sensibilité complexe.

Libres penseurs, libres musiciens, libres auteurs, libres compositeurs, libres réalisateurs, libres sur toute la ligne. En toute ironie, ils comptent même commercialiser un parfum afin d'étoffer leur marque : Concussion se présente dans un contenant en forme de banane, rien de moins !

Dans la vie, Beaver est aussi cuistot, formé à Charlottetown avant sa migration montréalaise il y a 16 ans : « J'ai fondé ma propre entreprise de traiteur avec ma copine, The Parsley Underground. »

« Je fais aussi de la peinture, j'ai d'ailleurs entrepris une série de tableaux inspirés des chefs cuisiniers de Montréal pour qui j'ai travaillé - Martin Picard, David McMillan, Chuck Hughes, plusieurs autres. »

- Beaver Sheppard

Délicieux !

Quant au parcours de David, il est essentiellement centré sur la musique : « J'étudiais les neurosciences à Terre-Neuve pour réaliser que je n'y consacrerais pas mon existence. Je me suis inscrit en Fine Arts à l'Université Concordia, la musique a fini par prendre le dessus. Entre-temps, j'ai vécu un an à Iqaluit, dans l'Arctique. Hormis notre groupe, je réalise les enregistrements d'autres musiciens. »

Force est de constater que Beaver et David assument tout de leur vie d'artiste, à commencer par leurs désaccords permanents : 

« Nous n'avons jamais la même impression et la même interprétation de nos chansons », soulève David.

« C'est beaucoup mieux ainsi, convient Beaver. Essayer de comprendre quelque chose dans l'art est si ennuyeux ! Donner une interprétation stricte à un texte ou à une musique est une perte de temps, en ressentir la beauté suffit amplement. »

David en remet sur l'éloge de la perception : 

« Beaver a déjà fait des albums folk, avec des textes plus narratifs que ceux de nos chansons. En aucun cas, il n'aime décrire ce qu'il écrit. Ça me rappelle une prof de littérature anglaise qui détestait les illustrations de personnages sur la page couverture d'un roman. Parce que l'image modélise la perception du lecteur et en altère l'imagination. »

SUS À L'ACADÉMISME

On cause de leur facture musicale, on réalise alors que Beaver et David se trouvent aux antipodes de tout académisme formel, de toute méthodologie prédigérée : 

« Chacune de nos chansons, explique Beaver, émerge différemment. Prenons So Get a Baby, dont la musique a été créée très rapidement. Après une soirée de travail, David m'a soumis une structure très avancée. Il m'a mis le micro dans la gueule en me conseillant sur ma façon de chanter... "More sexy !", gueulait-il (rires). Ça a pris forme, le texte est venu progressivement en tournant autour du mot bébé... et de l'idée d'en faire un. »

David insiste sur la frugalité de l'instrumentation, sur le furieux bidouillage préconisé par Co/ntry : 

« Nos revenus étant très bas, nous avons souvent dû revendre de l'équipement et en retrouver l'équivalent numérisé sur le web. Sur scène, nous disposons de trames d'accompagnement auxquelles on ajoute des touches de claviers, basse ou guitare. Bien sûr, nous souhaiterions être accompagnés de musiciens sur scène, mais la vie économique de la musique étant ce qu'elle est, nous travaillons avec les moyens du bord. »

« Et, oui, nous rêvons d'un grand orchestre payé décemment, un choeur d'enfants derrière nous, un troupeau de chameaux qui traverse la scène... »

- David Whitten

Pour l'heure, il faut plutôt compter sur le système D et la spontanéité du geste. Heureusement, cela convient à Co/ntry

« Nous ne sommes pas très à l'aise avec la production planifiée. Nous croyons sincèrement qu'il vaut mieux ne pas s'acharner à corriger les défauts. Certains nous croient paresseux... or, nous cogitons longtemps avant d'enregistrer d'un seul trait. La structure d'une chanson n'est pas très compliquée, il ne faut pas en voir trop sérieusement l'emballage », indique David.

« Nous aimons ça cru, sans artifices, de renchérir Beaver. C'est d'ailleurs pourquoi la musique des années 60-70 était si bonne : pas de flafla à l'enregistrement, des séances rapides et des exécutions sans artifices. Sur scène, nous ne tentons pas de reproduire parfaitement ce qui fut enregistré et réalisé, c'est une autre expérience. »

BAGAGE INCONSCIENT

Il y avait ce projet de peaufiner Cell Phone 1 de concert avec Emmanuel Éthier, guitariste de Chocolat, de surcroît réalisateur très prisé de l'indie québécois. Et puis...

« Il nous a aidés sur certaines pièces, raconte David, mais nous avons réalisé que maintes prises de son originelles nous satisfaisaient et qu'il n'y avait pas grand-chose à rajouter. Les couches supplémentaires nous semblaient superflues. Au bout du compte, j'ai pas mal tout réalisé, sans compter le mixage. »

Puisqu'ils tiennent de tels propos sur la production, on se doute bien que nos lascars jugent inutile d'énumérer leurs multiples influences et orientations stylistiques.

« Pour nous, pense David, elles relèvent de notre bagage inconscient et d'écoutes récentes. Elles précèdent souvent nos jams et nos prises de son. Par exemple, nous n'essayons pas de faire consciemment une chanson des années 80 ou 90. Je sais que certaines ressemblent à celles de ces époques, mais ça n'a rien de conscient. Nous nous rencontrons, manipulons nos instruments, il en sort quelque chose. »