Le streaming a métamorphosé l'industrie musicale et les nominations cette année aux prestigieux Grammy Awards, décernés dimanche à Los Angeles, le confirment.

C'est en effet la première fois que des morceaux disponibles uniquement à l'écoute en ligne ont été sélectionnés.

Chance the Rapper profite le plus de cette évolution: son album Coloring Book est sorti en mai sur Apple Music, puis sur des plateformes concurrentes dont le numéro un du secteur, le suédois Spotify.

Le rappeur de 23 ans, qui marie gospel et rap, est en lice pour sept récompenses dont celle de révélation de l'année.

Il a expliqué n'avoir jamais envisagé de vendre ses créations à l'unité (CD, téléchargement). Sa principale source de revenus provient de ses tournées.

«Il y a tellement de façons de faire de la musique désormais. Je pense qu'essayer de la faire entrer dans un modèle de vente par albums est aujourd'hui un peu obsolète», a-t-il déclaré sur NBC.

«Cela me donne davantage de latitude pour créer et publier des trucs».

L'écoute en ligne a offert une bouffée d'oxygène à l'industrie musicale, en belle croissance pour la première fois depuis l'avènement d'internet.

«Domination»

Aux États-Unis, plus gros marché mondial, les abonnements aux services de streaming ont plus que doublé en 2016, selon la société BuzzAngle Music.

Pour Larry Miller, directeur du programme d'économie de la musique à la New York University, le virage pris par la Recording Academy, d'ordinaire conservatrice, devrait encourager les exclusivités en streaming.

«C'est probablement l'un des plus importants éléments de validation de l'émergence, si ce n'est de la domination, du streaming comme une façon (...) de trouver et d'écouter de la musique», a-t-il relevé.

Les trois albums les plus vendus l'an dernier aux États-Unis - tous en lice dans la catégorie reine de meilleur album - ont connu des stratégies de diffusion diverses.

Beyoncé, en tête des nominations (neuf catégories), a publié fin avril son inattendu album-concept Lemonade sur Tidal, la plateforme de streaming de son mari Jay Z.

Le lendemain, il était vendu sur la boutique en ligne iTunes (Apple) puis, dans les deux semaines suivantes, commercialisé en CD. Mais jamais en streaming chez les rivaux de Tidal.

De son côté, l'album Views du rappeur canadien Drake a été disponible deux semaines en exclusivité chez Apple (streaming et boutique en ligne), un joli coup pour le géant souhaitant promouvoir son service balbutiant de streaming. Puis les concurrents y ont eu accès, le CD et le vinyle ont suivi.

En revanche, point de streaming pendant les sept premiers mois de 25, album de la Britannique Adele. L'une des artistes ayant vendu le plus d'albums au XXIe siècle a privilégié le trio plus classique CD/vinyle/téléchargements.

Pour M. Miller, c'était la tactique la plus logique pour une chanteuse avec une telle notoriété mais «c'est une stratégie de publication qui ne peut être adoptée que par une poignée d'artistes».

Anti-streaming

Le streaming n'a pas été accueilli à bras ouverts par tous les artistes.

La popstar américaine Taylor Swift a fait de la résistance, devenant même le fer de lance d'un combat contre Spotify au motif que les artistes n'étaient pas assez rétribués. Elle a finalement diffusé 1989 chez Apple, plus généreux.

La vedette du hip-hop Frank Ocean a respecté son contrat avec sa maison de disques en diffusant en exclusivité un album visuel, Endless, sur Apple Music. Mais, dès le lendemain, il publiait de manière indépendante son très attendu second album studio Blonde.

Un acte plein d'audace qui, selon des médias, a révulsé le patron de la plus grande maison de disques, Universal.

Le rappeur Kanye West, dans la course pour huit Grammys, a créé la sensation en février 2015 en présentant à la fois son nouvel album et sa dernière collection de prêt-à-porter pendant la Fashion Week de New York.

L'album The Life of Pablo, diffusé ensuite sur d'autres plateformes, a été le premier de l'histoire à prendre la tête du classement Billboard 200 uniquement grâce à sa diffusion en streaming.

L'un des critiques les plus acerbes du streaming, l'icône de la pop Prince, avait autorisé Tidal à diffuser seulement ses deux derniers albums.

Mais le catalogue de la star, décédée en avril dernier, pourrait bien apparaître ailleurs: Spotify a teinté sa signalétique de pourpre, couleur emblématique du Kid de Minneapolis.