C'est par un heureux concours de circonstances que nous est arrivé cet automne le DVD Gilles Vigneault sur les plaines d'Abraham, premier spectacle immortalisé sur film du géant de la chanson québécoise en près de 60 ans de carrière.

Le 14 juillet 2010, M. Vigneault est monté sur la grande scène du Festival d'été de Québec, précédé de Loco Locass. Cinq caméras ont capté les images de ce spectacle afin que les dizaines de milliers de spectateurs rassemblés sur les Plaines puissent voir le chanteur «plus grand que ça» sur les écrans géants. Ce n'est qu'après coup que Gilles Vigneault et son équipe ont appris l'existence de ce spectacle filmé qui aura mis six ans avant d'être commercialisé.

«C'est ma faute pas mal: je ne me décidais pas beaucoup à livrer ça, d'expliquer M. Vigneault, rencontré plus tôt cet automne. On ne sait jamais bien ce qu'on a fait et même quand les autres nous disent que c'est bon, on se dit, surtout il y a cinq ou six ans de cela, qu'il y aura d'autres occasions. Mais il n'y en a pas eu.»

Aujourd'hui, M. Vigneault est heureux que sorte ce document dans lequel il chante avec sa fille Jessica, renoue avec les Charbonniers de l'enfer, avec lesquels il avait fait précédemment une tournée «merveilleuse», et «apprend» de Florent Vollant comment chanter Jack Monoloy.

Avant ce concert, Gilles Vigneault était stressé, avait confié à l'époque le directeur général du festival, Daniel Gélinas. Le public allait-il être au rendez-vous?

«On craint toujours ça, dit aujourd'hui Gilles Vigneault. Et si on ne craint pas, on peut être terriblement déçu, on peut être remis à sa place et à sa mesure. Mais avant même que ça commence, on entendait les gens chanter "Mon très cher Gilles, c'est à ton tour". Comme je n'ai pas le trac, ce qui est une bénédiction pour moi, j'étais là piaffant, attendant le départ. Et en attendant le départ, les gens me disaient "Heille! ils sont 20 000... ça va bien, ils sont 35 000... on va dépasser les 50 000". On avait donc des dizaines de milliers de raisons d'être là entièrement.»

Un spectacle complet

Ce soir-là, le chanteur et ses musiciens, sous la direction du pianiste Daniel Thouin, ont donné un spectacle complet, puisant dans les «grosses chansons» de son vaste répertoire, celles du pays aussi bien que celles de personnages. Le public des Plaines a applaudi le Vigneault chanteur, monologuiste, acteur et chef de chorale ainsi que la bête de scène qui ne laissait rien paraître de son âge.

«J'avais 81 ans, j'allais avoir 82 à l'automne, et je me sentais aussi énergique que 20 ans avant, au moins. C'est un spectacle qui m'a tourné dans la tête quelques semaines avant qu'il ait lieu et quelques mois après qu'il a eu lieu.»

Il y a en effet dans ce spectacle plusieurs grands moments. Quand M. Vigneault chante Le doux chagrin, les spectateurs se fondent en une chorale, puis l'ovationnent au point où il a de la difficulté à enchaîner avec Le grand cerf-volant.

«En fait, les gens s'applaudissaient eux-mêmes, rétorque-t-il. Et ça, c'est fort bien. Ils savaient la chanson, donc ils se l'étaient appropriée. C'est le bonheur total, c'est presque de la folklorisation.»

Puis, à la toute fin, pendant que Gilles Vigneault chante Les gens de mon pays, on voit dans le cadre de l'image, immédiatement derrière lui, le visage du Charbonnier Michel Faubert sur lequel se lit une émotion non feinte.

«C'était beau, ça! s'exclame M. Vigneault. Ça fait partie des cadeaux qu'un cinéaste a parfois.»

De nouvelles chansons

Gilles Vigneault ne donnera donc probablement plus ce genre de spectacle.

«Il ne faut pas dire "Fontaine, je ne boirai pas de ton eau", mais on peut dire à la fontaine "J'ai bu beaucoup de ton eau et si ça se représente que j'arrive à la fontaine, je suis certain que j'aurai encore soif", dit-il en riant. Et si c'était le dernier spectacle, ce qui est probable, ce serait correct. Je serais d'accord pour que ce soit ça qui reste.»

Entendons-nous bien: M. Vigneault a donné plusieurs autres spectacles depuis ce 14 juillet 2010, mais pas de la même envergure. Depuis quelque temps déjà, il privilégie une formule à mi-chemin entre le récital et la conversation avec le public, avec la complicité du pianiste Jean-François Groulx.

À 88 ans, Gilles Vigneault est dans une forme éblouissante, lui qui a subi une opération à la hanche plus tôt cette année. Il a déjà dans ses cartons huit ou neuf nouvelles chansons pour un album qui paraîtra quand il sera prêt. Il parle avec son enthousiasme habituel de l'une de ces chansons, Le nomade, qui lui a été inspirée par le musicien d'origine marocaine Saïd Mesnaoui que lui a présenté sa fille Jessica.

«Il a exactement le même propos que j'ai eu dans Avec nos mots: "Demandez aux pierres/Demandez aux bois/Chacun est chez soi/Sur la terre." Je suis allé à son lancement récemment et j'ai trouvé ça tellement beau que ça m'a donné le goût d'écrire une chanson. Le nomade, c'est un étranger, mais un étranger qui est beaucoup moins étrange qu'on s'y attend, un étranger qui nous ressemble et qui vient ici et qu'on est heureux d'accueillir. Un étranger qui vient ici avec un instrument de musique, pour l'amour du ciel, donnez-lui son visa!», lance Gilles Vigneault dans un éclat de rire.

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DVD. Gilles Vigneault sur les plaines d'Abraham. tandem.mu

image fournie par tandem.mu

Gilles Vigneault sur les plaines d'Abraham