Le spectacle que doit donner samedi le groupe black métal polonais Graveland, au festival La Messe des Morts, est vivement dénoncé ces jours-ci par des militants. Ces derniers accusent Rob Darken, le chanteur du groupe, d'être raciste et de prôner la suprématie blanche et la supériorité de la «race aryenne». Sur son site internet, le Polonais se défend bien d'être néonazi, sans toutefois renier ses positions d'extrême droite. Pour comprendre ce qu'est Graveland dans le paysage «underground» du black métal, La Presse a discuté avec Mei-Ra St-Laurent, doctorante en musicologie à l'Université Laval, spécialiste du genre.

Qu'est-ce que le black métal dans la scène musicale métal en général?

Le black métal est un style de musique qui est volontairement transgressif. Il veut repousser les frontières du socialement acceptable pour se distancer le plus possible de la société de masse, et même de tous les autres styles de métal. Le genre est d'abord apparu en Norvège, au début des années 90. Le sujet qui a été abondamment abordé, pour déranger le plus possible, est le satanisme.

Quand vous dites le satanisme, qu'est-ce que ça représente exactement?

C'est carrément l'opposition au christianisme, la personnification de Satan et la volonté, qui est apparue au début des années 90, en Norvège, de marquer une coupure avec tout ce qui est lié à la religion. On accusait à l'époque les chrétiens d'avoir volé la culture norvégienne, c'est-à-dire la culture viking. [...] Quelques années plus tard, le black métal s'est demandé: «Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour déranger encore?» C'est là que les thèmes néonazis ont fait leur apparition. Mais ces groupes étaient très jeunes, et rapidement, ils se sont rendu compte qu'ils devaient se rétracter. Que c'était peut-être un peu trop.

Vous parlez de la Norvège, de la culture viking, mais Graveland est un groupe polonais...

Oui, c'est que le black métal s'est propagé dans les années 90 jusqu'en Europe de l'Est. Avec l'Union soviétique qui venait de tomber, il y avait un terreau fertile pour les idées d'extrême droite et un retour vers le nationalisme. Graveland fait partie de ce courant, que l'on pourrait qualifier d'hypernationaliste. Dans leurs premières années, il n'y avait pas d'ambiguïté. C'était néonazi. Il existe des photos des membres du groupe où ils font des saluts nazis. Par contre, ces dernières années, le groupe s'est éloigné de tout cela.

Pourquoi?

Il y a plusieurs éléments dont il faut tenir compte. Ce n'est jamais noir ou blanc, il y a toujours de l'ambiguïté. Je pense que ça fait d'ailleurs partie de l'essence même du black métal que d'être ambigu. [...] Rob Darken a effectivement eu des propos d'extrême droite par le passé. Or, quand on regarde les prestations de Graveland, les thèses néonazies ne sont pas vraiment véhiculées. Le chanteur a donc des positions politiques qui ne se reflètent pas nécessairement dans sa musique.

[Après cette entrevue, Mme St-Laurent a écrit à La Presse pour préciser qu'elle avait finalement trouvé des paroles racistes dans certaines chansons du groupe. «Toutefois, elles datent toutes de plus de 10 ans. Cela semble aller dans la nouvelle tangente du groupe, soit de s'éloigner de propos directement liés au néonazisme», a-t-elle écrit.]

Dans ses chansons, de quoi Graveland traite-t-il?

Ça parle essentiellement de paganisme, de retour aux racines, aux anciennes religions. Des thèmes guerriers. C'est une vision romancée du passé.

Partagez-vous l'avis des militants qui s'opposent au spectacle du groupe à Montréal?

Non. Quand j'ai vu qu'ils allaient venir, j'ai été étonnée que les organisateurs soient parvenus à les faire venir ici. Bien sûr, je ne soutiens aucun propos antisémite, mais je ne peux pas non plus empêcher ceux qui se reconnaissent dans ça, ceux qui sont néonazis, d'en voir.

Qui sont les amateurs de Graveland?

Il y a trois types de fans de black métal. Il y a d'abord ceux qui aiment cette musique, mais que les paroles ne touchent pas. Il faut rappeler qu'il est possible de se désengager des paroles, puisque plusieurs groupes chantent dans d'autres langues que l'anglais. Il est aussi difficile de comprendre ce qui est chanté, puisque les chanteurs grognent. [...] Ensuite, il y a les fans qui font vraiment attention à tout ce qui est chanté et qui n'iront jamais à un show si les paroles ne reflètent pas leurs valeurs. [...] Finalement, et c'est vraiment un groupe minoritaire, il y a ceux qui croient en la suprématie blanche et qui se reconnaissent là-dedans. Ces fans sont selon moi extrêmement problématiques.

Photo Nicolas Fortin-Blanchette

Mei-Ra St-Laurent, doctorante en musicologie.