Presque pas de titre mythique, pas une seule photo autorisée, pas même un « Bonsoir Vegas ! ». Quelques heures plus tôt, Bob Dylan a reçu le Nobel de littérature. La surprise a été totale dans le monde entier, mais ce soir il enchaîne les morceaux comme si de rien n'était.

De High Water (for Charley Patton) au crépusculaire Soon after Midnight, Bob Dylan, imperturbable, préfère jouer ses derniers albums, sortis au tournant du siècle.

Pas de Mr Tambourine Man, ni Like a Rolling Stone ni encore Subterranean Homesick Blues : le lauréat du prestigieux prix a fait l'impasse sur son répertoire classique.

Et ses 3000 fans réunis dans cette salle du fastueux hôtel Cosmopolitan ont dû attendre le rappel pour entendre Blowin In the Wind (1963), la chanson peut-être la plus célèbre de tout son vaste répertoire.

Reconnu dès les années 60 comme « voix d'une génération » aux États-Unis, Bob Dylan n'a, comme d'habitude, pas versé dans la nostalgie ce soir pourtant particulier.

Ce jeudi soir encore, il n'adresse pas un mot à son public vieillissant. Si prolifique dans son art, le poète du rock n'roll est un homme peu disert. Même l'académie du Nobel, qui a annoncé la distinction jeudi matin, n'avait pas encore réussi à lui parler vendredi.

« On t'aime Bob ! »

Dans la salle, des hommes en chapeau de cowboys avec des moustaches effilées qu'on croirait sortis d'un western, un vieux rocker efflanqué qui se faufile vers le bar en bandana et veste de moto, attrapant un verre de pina colada.

« On t'aime, Bob », crie un fan à travers sa barbe épaisse rappelant celle des membres du groupe ZZ Top, tandis que Dylan prend place au piano pour interpréter l'un de ses classiques : Everybody Must Get Stoned.

« Légende ! », lance un autre admirateur pendant que le folk-rocker enchaîne Highway 61, Revisited et It's All Over Now, Baby Blue, faisant lever les premiers rangs qui se mettent à danser.

Dans l'ensemble toutefois, un public sage, avec beaucoup d'hommes en chaussures-bateaux et des femmes en escarpins-cardigan. Et peu de moins de 40 ans.

Gail Wolffe, 70 ans, est venue de Vancouver avec son mari Norbert, 74 ans, et leur Yorkshire Suzy Q. C'est leur premier concert.

« Il aimait vraiment Dylan dans les années 60 », raconte-t-elle en faisant allusion à Norbert.

« J'aime vraiment les nouvelles chansons. J'étais épatée parce que j'étais venue par nostalgie mais ce qu'il a sorti récemment était vraiment bien », ajoute-t-elle.

Dylan est le premier compositeur de chansons à remporter le Nobel de littérature, éclipsant de grands noms qui semblaient favoris, comme le Britannique Salman Rushdie, le poète syrien Adonis et l'écrivain kenyan Ngugi wa Thiong'o.

Le Nobel ne perturbe pas le public de Dylan, même si l'homme de 75 ans devant eux vient de recevoir la même distinction que Rudyard Kipling, T.S. Eliot, Ernest Hemingway et Toni Morrison. Comme si le chanteur laissait les autres écrire sa légende, malgré lui.

« Il a fait beaucoup pour le mouvement pacifiste dans les années 60 et 70 et jusqu'à maintenant », confie Ray Staniewicz, un Américain de 65 ans, parti avant le rappel. « J'ai aimé le concert. C'était un peu court mais je pense qu'il mérite un prix », lâche-t-il avant d'ajouter : « La littérature, je ne connais pas très bien pour tout vous dire ».