L'énergique roi du drum n'est plus. Guy Nadon a rendu l'âme à 2 h dans la nuit de samedi à dimanche à la résidence Maison Neuve, où il habitait depuis novembre 2015. Il avait 82 ans.

Ces dernières semaines, son état de santé s'était tellement détérioré qu'il ne servait plus à rien de le soumettre aux traitements de dialyse qui étaient son lot depuis cinq ans. Inconscient depuis mardi, il aura tout de même prouvé une fois de plus, au cours de la dernière semaine, combien il était coriace, ont souligné hier Véronique Robert, son agente, et Pierre Girardeau, son « ange gardien » au cours des cinq dernières années.

À la fin de l'été 2015, Guy Nadon avait dû être hospitalisé. Il ne mangeait plus, ne voulait plus se soumettre à la dialyse, et les médecins croyaient qu'il ne passerait pas les Fêtes. Des amis musiciens venus lui rendre visite lui ont apporté de la nourriture, et il a repris du mieux.

Ce qui l'a sauvé alors, estiment ses proches, c'est sa volonté de donner un concert d'adieu au plus récent Festival international de jazz de Montréal, auquel il a participé plus d'une trentaine de fois depuis le début des années 80, une marque qu'il partage avec son ami Vic Vogel. Un festival qui lui a d'ailleurs procuré une des plus grandes satisfactions de sa carrière en lui décernant le prix Oscar-Peterson en 1998.

« Ç'a été un déclic psychologique, a raconté hier Véronique Robert. Il s'est mis dans la tête qu'il voulait refaire le Festival, alors il s'est remis à manger, il est revenu et il avait quand même assez d'énergie le soir du concert, c'était incroyable ! »

« Après le concert, j'ai cru qu'il allait s'écraser, mais au contraire, ça l'avait énergisé. Il disait : "Jouer, c'est ça qui me tient en vie. Moi, je veux mourir sur mes drums." » - Véronique Robert, agente de Guy Nadon

Guy Nadon aura donc participé à son dernier concert à vie le 30 juin dernier à l'Astral en compagnie d'une dizaine d'amis musiciens, dont Jean-Pierre Zanella, Richard Gagnon et Yvan Belleau. Un mois plus tôt, celui qui n'exerçait plus et ne donnait qu'un seul concert par année, au Festival, s'était pointé au Dièse Onze, la boîte de jazz de la rue Saint-Denis. Il avait joué sur deux pièces, prouvant à l'ami Belleau qu'il serait en mesure de remplir son engagement au Festival de jazz.

« La musique, nous avait-il dit quelques jours plus tard, c'est plus fort que les pilules. »

LE PERSONNAGE

Ti-Guy Nadon, comme le surnommait tout le monde, était un musicien doué doublé d'un compositeur et d'un showman comme il ne s'en fait plus. Rien ne prédestinait pourtant cet enfant de famille pauvre qui avait grandi à l'ombre de la Macdonald Tobacco et du stade De Lorimier à faire carrière dans la musique pendant 70 ans.

Le déclic s'est produit à l'âge de 12 ans, quand il a vu jouer sur le grand écran du Majestic le batteur américain Gene Krupa. Presque aussitôt, Ti-Guy s'est fabriqué une batterie artisanale avec des conserves. Une batterie dont il n'a plus joué quand, à 15 ans, il a pu s'en acheter une vraie pour la somme - exorbitante pour lui à l'époque - de 150 $.

Mais le personnage du roi du drum est toujours demeuré associé à cet original qui pouvait tenir le rythme avec tout ce qu'il avait sous la main. Quand nous l'avons rencontré, le 2 juin dernier, il nous parlait avec un grand sourire de ses « tounes chinoises » qu'il jouait depuis 10 ou 15 ans en tapant sur des conserves. « Je vais apporter ça au Festival, ça pogne. »

Comme son idole Gene Krupa, Guy Nadon a toujours eu le sens du spectacle. À 16 ans, il n'a pas craint de se mesurer au grand Buddy Rich à l'invitation des waiters de la Plage-Idéale.

« Mon p'tit Guy a fait la job comme il faut, tellement qu'il a envoyé physiquement chier Buddy Rich », racontait son ami et compagnon de route Vic Vogel dans le film Le roi du drum que lui a consacré Serge Giguère en 1991.

« J'ai joué avec lui pendant 40 ans. Des fois, je faisais une steppette technique et il allumait tout de suite, le feu était pris. C'était un technicien incroyable », nous a dit hier le contrebassiste Michel Donato.

« Musicalement, c'était un génie, un grand drummer qui faisait peur à ben du monde. Un grand bonhomme et un personnage unique. Il y a juste un Guy. » - Michel Donato, contrebassiste

Le pianiste Oliver Jones, 82 ans lui aussi, qui a donné son dernier concert au Festival de jazz cet été, en est un autre qui a toujours considéré Guy Nadon comme un musicien d'exception.

« Je connais Ti-Guy depuis l'âge de 14 ans et, même dans ce temps-là, il était très en avance sur nous autres, nous a-t-il dit en juin dernier. De grands chefs d'orchestre comme Duke Ellington et Count Basie voulaient prendre Guy avec eux, mais il ne parlait pas un mot d'anglais. Il avait vraiment le talent. »

« GROS CHAGRIN »

Guy Nadon nous disait pourtant n'éprouver aucun regret. S'il avait suivi les musiciens américains, il serait peut-être devenu « un bum ou un alcoolique », ce que redoutait au plus haut point sa famille, qui ne lui voyait aucun avenir dans la musique.

Pas de regret, peut-être, mais Guy Nadon éprouvait un « gros chagrin » de ne pas avoir fait d'album quand la journaliste Véronique Robert est allée l'interviewer pour le magazineL'actualité au milieu des années 80. Avec Daniel Vachon, réalisateur de Radio-Canada, elle l'a donc aidé à enregistrer son premier 33-tours, Guy Nadon et la Pollution des sons, du nom du premier des deux groupes - l'autre étant Swing Dynamique - qui se sont consacrés à sa musique.

Guy Nadon a connu les belles années des cabarets de Montréal et il a donné longtemps dans ce qu'il appelait la « musique commerciale », accompagnant des chanteurs d'ici et d'ailleurs, dont Michel Louvain, Fernand Gignac, Georges Guétary et Charles Aznavour.

Le jazz, à l'époque, n'était pas pris au sérieux. Il n'a d'ailleurs jamais fait de Guy Nadon un homme riche, mais la flamme de la musique improvisée en lui ne s'est pas éteinte pour autant.

« Est-ce que le jazz est plus respecté qu'il ne l'était à vos débuts ? », lui avions-nous demandé.

« Oui. Parce que le monde se sont réveillé les oreilles ! »