Environ 150 à 200 musiciens se produiraient dans le métro chaque jour. Il y a les «étoiles», ceux qui ont gagné des places de choix après avoir passé des auditions, puis il y a tous les autres, qui se pointent aux aurores ou tard le soir dans l'espoir de trouver une place pour jouer aux heures achalandées. Nous avons sillonné le réseau de la STM en quête de ces talents souterrains. Voici nos découvertes.

Magoo (Berri-UQAM)

Un jeune homme à la voix d'or chante dans le passage Longueuil - un endroit prisé du métro Berri-UQAM - à l'arrivée de Magoo, avec sa guitare et son siège pliant. Les deux musiciens se saluent cordialement, puis le premier part. «Je fais quand même une belle job, hein?», s'exclame Magoo en accordant son instrument. Ce chansonnier amateur de musique folk commence son numéro avec le classique Knockin on Heaven's Door de Dylan. Il est tôt, inutile de brusquer les passants, qui passent devant sans le voir, les yeux encore collés. C'est sur une chanson de Joe Dassin qu'il récolte ses premières pièces de la journée. Magoo prend le temps de remercier l'homme, puis se remet à chanter : «On s'est aimés comme on se quitte!»

> Voyez Magoo à l'oeuvre

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Photo Ninon Pednault, La Presse

Le chansonnier Magoo est particulièrement friand de musique folk.

Geraldina Mendez (Sherbrooke)

Une voix de soprano parcourt le long couloir de la station. Depuis juillet dernier, Geraldina Mendez, Vénézuélienne fraîchement arrivée au Québec, chante au même endroit. «Je suis ici parce que je ne peux pas travailler en attendant les papiers [de résidence]. J'ai fini le conservatoire comme pianiste, en plus d'avoir étudié le chant au Venezuela», raconte la femme de 48 ans, qui adore Montréal malgré le froid. Facile de la croire, puisqu'un vent frisquet souffle près de la porte où elle est postée. Sa voix angélique par-dessus des pistes de piano préenregistrées ajoute au caractère magique de ce matin frais.

> Voyez Geraldina Mendez à l'oeuvre

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Photo Ninon Pednault, La Presse

Geraldina Mendez a étudié le chant et le piano avant d'arriver à Montréal.

The Lone Dobro (Atwater)

L'homme hésite avant de nous accorder une entrevue. Il dit vouloir garder jalousement son emplacement et son identité. «Ici, c'est ma place favorite, le son est meilleur et les gens sont habitués à mon répertoire», explique le musicien à la veste sale, qui tient sa guitare à l'horizontale pour produire ses chansons folk et country. Le musicien joue dans le métro épisodiquement depuis le début des années 90. Il est un spectacle à voir en soi, avec ses mimiques et sa manière de pousser la voix. Les miroirs devant et derrière ajoutent un effet psychédélique. Il se montre critique envers les Étoiles du métro, qui ont pour effet d'enlever de bons emplacements dans le souterrain. Il constate aussi que l'attitude des gens a changé avec les années. «Ils se disent: "Pourquoi je donnerais des sous à un gars dans le métro, quand je peux avoir ça gratuitement sur internet"», plaide l'artiste.

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Photo Ninon Pednault, La Presse

The Lone Dobro tient sa guitare à l'horizontale pour en faire sortir des sons folk et country.

Ben Evans (Guy-Concordia)

La tuque enfoncée sur la tête, la dégaine déterminée, Ben Evans prend son travail étudiant très au sérieux. À 22 ans, cet étudiant en génie électrique joue à temps partiel dans le métro depuis deux ans, pendant ses études en génie électrique. Il rêve d'être une rock star depuis l'école primaire, en plus de jouer, composer et improviser derrière le manche de sa guitare. Un tambourin accroché à une cheville, il tape du pied pendant ses solos, en occupant l'espace au maximum. Le son un peu psychédélique rappelle du Leloup instrumental. Son CD de compositions est d'ailleurs en vente au coût de 5 $. «J'en vends un ou deux à l'heure», calcule le jeune homme.

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Photo Ninon Pednault, La Presse

Étudiant en génie électrique, Ben Evans joue à temps partiel dans le métro.

Emil (Square-Victoria-OACI)

Les passants sont nombreux dans cette station, une des plus achalandées du réseau. Dans la froideur matinale, Emil essaie de réchauffer l'ambiance en interprétant Besame mucho à la guitare classique. À Montréal depuis quatre ans, le musicien a joué professionnellement au sein d'un orchestre de musique traditionnelle pendant 27 ans à Cuba, son pays d'origine, avant d'émigrer ici. Il ne parle ni anglais et français. Sa guitare et son harmonica sont ses moyens de communiquer. «Ici, les gens fonctionnent à la température. Ils sont généralement contents quand il fait beau et c'est le contraire quand il fait mauvais», résume le guitariste.

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Photo Ninon Pednault, La Presse

Emil a joué dans un orchestre de musique traditionnelle pendant 27 ans à Cuba.

Clément Courtois (Place-des-Arts)

Responsable des communications au sein du Regroupement des musiciens de métro de Montréal (RMMM), Clément Courtois a la dégaine d'une star. Plus qu'un look, cette étoile du métro a une voix exceptionnelle qui, avouons-le, détonne de celle de certains de ses comparses. Sa version de la pièce Mad World de Gary Jules donne des frissons. Des passantes gratifient le musicien de leur sourire. L'une d'elles s'arrête. «T'es vraiment bon, tu devrais faire un disque.» Justement, ce compositeur d'origine française qui joue dans le métro depuis son arrivée à Montréal en 2006 vend ses propres chansons. Avec son groupe Sherlock, il joue aussi dans les restaurants et les bars. Mais dans le métro, l'artiste savoure chaque moment. «J'ai la liberté de faire ce que je veux, en plus de ce contact furtif et ce libre-échange sans chichi», résume M. Courtois, qui se fait un devoir de proposer un répertoire francophone.

Voyez Clément Courtois à l'oeuvre

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Photo Ninon Pednault, La Presse

Le chanteur et guitariste Clément Courtois se fait aussi entendre dans des restaurants et des bars.

Crisanto De Lasco (Snowdon)

L'histoire de ce saxophoniste d'origine philippine de 64 ans pourrait être à la source d'un bon scénario de film. Crisanto De Lasco a gagné sa vie comme musicien sur des bateaux de croisière aux Philippines, au Japon et aux États-Unis, avant d'émigrer au Québec en 1995. Aujourd'hui à la retraite, il joue dans la station Snowdon à temps partiel, au grand bonheur des passants, à en juger par leur générosité. «Je suis connu ici, les gens apprécient ma musique», justifie le musicien, impressionnant, avant d'attaquer Fly Me to the Moon.

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Photo Ninon Pednault, La Presse

Avant de jouer dans le métro, Crisanto de Lasco a gagné sa vie comme musicien sur des bateaux de croisière.

Gabrielle Calille et Stéphane Prud'homme (Langelier)

Les témoins de Jéhova qui avaient installé leur petit stand sous le logo de la lyre ont gentiment accepté de se déplacer pour laisser la place au jeune couple de musiciens. Depuis deux ans, Gabrielle Calille et Stéphane Prud'homme se produisent dans quelques stations de l'est de la ligne verte. Ils se lèvent - ensemble - aux aurores pour venir réserver leur emplacement plusieurs fois par semaine. «On a pu ramasser l'argent pour s'acheter un Westfalia avec lequel on est allés jouer dans les Maritimes», raconte Gabrielle, qui met également des sous de côté pour enregistrer les propres compositions du duo. Celui-ci se spécialise dans les chansons folk, rock et blues. D'ailleurs, sa version d'Old Man de Neil Young est franchement réussie, même chose pour The Needle and the Damage Done. «Les gens sont super gentils. C'est chaque jour une expérience différente», résume la jeune artiste.

> Voyez le duo à l'oeuvre

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Photo Ninon Pednault, La Presse

Stéphane Prud'homme et Gabrielle Calille se lèvent aux aurores plusieurs fois par semaine pour venir réserver leur emplacement.

Grégoire Dunlevy (Jean-Talon)

Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais vous êtes légion à l'avoir croisé à la station Laurier. Juché sur des échasses, un petit chapeau rouge sur un crâne rasé, Grégoire Dunlevy anime les passagers de la station avec sa flûte traversière. Cette étoile est non seulement un personnage du métro, mais aussi un des doyens. Ce maître échassier a notamment présidé le premier regroupement des musiciens du métro au début des années 80. À le voir jouer et faire les cent pas en échasses, on voit qu'il a du métier. Il n'est d'ailleurs nullement gêné de rabrouer les gens qui le filment, nombreux. «Si vous me filmez, veuillez me donner de l'argent!», lance-t-il à une dame, avant de poursuivre.

> Voyez Grégoire Dunlevy à l'oeuvre

Photo Ninon Pednault, La Presse

Juché sur des échasses, Grégoire Dunlevy est un personnage du métro de Montréal.