Montréal vibre ces jours-ci au rythme des FrancoFolies. Mais en temps normal, la ville embrasse-t-elle vraiment sa culture francophone? Alors que de nouvelles salles de spectacle sont construites en banlieue, et que les salles existantes sont rénovées, l'offre culturelle se transforme dans la métropole. Entre 2004 et 2014, selon les plus récentes données de l'Observatoire de la culture et des communications, Montréal a perdu près de la moitié de son assistance payante en spectacles de chanson francophone.

Jacques Primeau, président du Partenartiat du Quartier des spectacles, se dit préoccupé. Dans une entrevue sollicitée par La Presse, il affirme que la prochaine politique culturelle du Québec devra s'attarder à la baisse de l'assistance payante pour les spectacles de chanson francophone à Montréal, mais aussi à la pérennité de l'offre au centre-ville.

«Je pense qu'il faut vraiment se pencher sur [l'effritement de la chanson francophone] à Montréal. C'est une problématique sérieuse. Au Quartier des spectacles, nous ne sommes pas que des gens qui veulent remplir leurs salles. La plupart d'entre nous sont des producteurs et des intervenants à part entière de la chaîne culturelle québécoise», explique M. Primeau.

Entre 2004 et 2014, le marché total de l'assistance payante des arts de la scène s'est contracté de 8 % dans l'île de Montréal, calcule-t-on à partir des plus récentes données rendues disponibles par l'Observatoire de la culture et des communications du Québec. Or, pour la chanson francophone, le portrait est encore plus sombre. Sur la même période, le nombre de billets vendus est passé de 357 000 à 181 000: un recul de près de 50 %.

«Pour une ville qui veut avoir un visage francophone, c'est extrêmement préoccupant. Une politique culturelle se prépare, tant par Québec qu'à Montréal. Il faut se pencher là-dessus.» 

Selon Jacques Primeau, malgré les changements démographiques qui ont cours à Montréal, certains projets porteurs du Quartier des spectacles ont démontré qu'il n'est pas impossible d'attirer le public dans les salles, et ce, en français. Les récents spectacles événementiels de Jean Leloup au Métropolis et à la Place des Arts ainsi que la résidence artistique de Marie Mai au Théâtre St-Denis sont deux exemples à suivre, affirme-t-il.

«Le résultat a été phénoménal», dit Jacques Primeau, précisant que de 2004 à 2014, le taux de fréquentation des salles du Quartier des spectacles est resté généralement stable, à près de 76 %.

LEes banlieues gagnent du terrain

Si, en 10 ans, le marché de la chanson francophone a chuté à Montréal, il n'a que légèrement fléchi en banlieue (- 5 %, comparativement à - 50 % pour la métropole). Par contre, pour le marché total de l'assistance payante des arts de la scène (ce qui inclut la chanson anglophone, le cirque, l'humour, le théâtre et la danse), les salles situées dans les couronnes nord et sud ont connu un bon important: 68 % d'augmentation entre 2004 et 2014, comparativement à une baisse de 8 % dans l'île de Montréal.

«L'ajout de nouveaux équipements culturels et le stationnement gratuit en banlieue sont deux facteurs évidents, mais la congestion des ponts menant à Montréal en est une autre», explique André Courchesne, professeur associé à la chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux, à HEC Montréal.

En analysant les données de l'Observatoire de la culture et des communications, une tendance se démarque pour l'industrie de l'humour. Tant à Montréal qu'en banlieue, les humoristes ont augmenté leur assistance payante entre 2004 et 2014. Dans l'île de Montréal, la hausse est de 40 %, mais dans les couronnes, c'est encore plus.

«La mode de lancement des spectacles, qui partaient autrefois de Montréal pour avoir une couverture nationale et se rendaient ensuite [en région], a changé. Maintenant, il y a de plus en plus d'artistes qui commencent leurs tournées en proche banlieue et qui vont attendre avant de se présenter à Montréal», explique M. Courchesne.

Jacques Primeau, qui représente aussi des artistes avec sa société de production, admet qu'il est parfois financièrement plus risqué de présenter un spectacle à Montréal.

«Les dépenses de production sont plus élevées, les dépenses de promotion sont plus élevées, les moyens de communication pour rejoindre le public sont plus difficiles qu'avant, bref, il y a une problématique. La politique culturelle devra s'y attarder. [...] Tant mieux s'il y a des nouvelles salles en banlieues, mais si on veut qu'il y ait encore des spectacles dans 15 ans au centre-ville de Montréal, il faut s'en préoccuper dès maintenant», dit-il.

Le président du Partenariat du Quartier des spectacles se souvient d'un programme mis sur pied par la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) il y a quelques années, venant en aide aux salles de spectacle privées dans leur mise à niveau. Une initiative de ce genre pourrait être appropriée dans le contexte actuel, soutient-il.

Des banlieues vampires?

L'émergence de nouvelles salles de spectacle en banlieue a-t-elle vampirisé celles qui existent déjà à Montréal? Afin de répondre à cette hypothèse, La Presse a demandé au professeur André Courchesne, de la chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux, à HEC Montréal, d'analyser les données fournies par l'Observatoire de la culture et des communications du Québec. «Globalement, la croissance de l'assistance dans les banlieues dépasse un potentiel déplacement de la demande de l'île de Montréal vers ses couronnes nord et sud, ce qui indique qu'il y a ici un véritable développement de nouveaux publics», explique-t-il, précisant que cette croissance passe surtout par l'humour.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, archives LA PRESSE

Jacques Primeau