Avec des noms comme Aïsha Devi, Dasha Rush, Julia Kent, Kara Lis Coverdale, Laura Luna, Maayan Nidam, Julia König, Sarah Davachi et Stefny Winter, l'importance du contingent féminin présent à MUTEK 2016 saute aux yeux. La Presseprésente quatre DJ/réalisatrices/compositrices choisies parmi la plus que vingtaine invitée au plus important festival de musique électronique et d'art numérique présenté annuellement à Montréal.

Aïsha Devi

Nocturne 1, ce soir, 22 h 05, Musée d'art contemporain

Après avoir fait les beaux-arts, cette artiste helvète s'est mise à la musique électronique et au chant. Originaire de la région de Genève, elle y vit toujours. Adolescente, elle a écouté beaucoup de rock industriel pour ensuite s'appliquer à combiner cette esthétique à différentes musiques de transe inspirées des patrimoines de différentes sociétés traditionnelles. Ses origines métissées (allemandes, austro-hongroises mais aussi tibétaines et asiatiques) ne sont certes pas étrangères à sa quête. Chanteuse, compositrice et réalisatrice, Aïsha Devi se consacre ainsi à l'actualisation de rituels ancestraux dans un contexte électronique résolument contemporain. En témoigne son album Of Matter and Spirit, lancé en 2015.

Sa quête en tant que musicienne

« Musicalement j'essaie de proposer une alternative en évitant la pop d'aujourd'hui, qui est pour moi un langage formaté, filtré. J'aime la musique rituelle des sociétés traditionnelles, car elle connecte le corps avec la nature. Ainsi je m'éloigne autant que possible du format pop, notamment en utilisant des boucles de répétition inspirées de mantras ancestraux, qui permettent à l'auditoire d'atteindre un état de transe consciente. Dans cette optique, j'ai étudié l'incidence des fréquences sonores sur les différentes parties du corps. Je crois à ces musiques qui rassemblent, qui soignent et qui guérissent. »

Y-a-t-il un angle féminin dans son approche?

« J'ai commencé à faire de la musique électronique car j'avais ce besoin d'autosuffisance. Je voulais me prouver en tant que femme que j'étais capable de très bien utiliser cette technologie, et devenir mon propre groupe. Le monde de la musique électronique est encore misogyne, il faut dire... mais c'est en train de changer ; je reçois moins de remarques désagréables des ingénieurs du son ! Or, plus j'avance dans la musique, plus je crois qu'elle n'a pas de genre ; elle n'a un genre qu'à partir du moment où on la situe dans un contexte socioculturel. Se positionner en tant que musicienne féministe, c'est se positionner a posteriori. »

>>>Écoutez certaines de ses compositions.

Kara-Lis Coverdale

Nocturne 2, demain, 22 h 25, Musée d'art contemporain

Cette artiste d'exception provient de la région de Hamilton. Pianiste et organiste dès l'enfance, elle se produisait régulièrement dans les églises estoniennes dont elle apprit le répertoire sacré. Elle mena des études de piano et de musicologie à l'Université Western Ontario (London), pour y réaliser que la création l'emporterait sur l'exécution dans son parcours artistique. En 2007, elle s'initiait à la musique électroacoustique et ce fut le coup de foudre. En 2010, elle obtenait un poste d'organiste à l'église montréalaise St. John's Estonian Lutheran, ce qui lui permit d'amorcer parallèlement une démarche de compositrice électronique, trois albums en illustrent son talent : A-480, Aftertouches et Sirens. Entre autres collaborations, elle a participé aux deux derniers albums du réputé Tim Hecker.

Sa quête en tant que musicienne

« À partir d'une idée musicale énoncée au clavier, ou encore à partir d'échantillons plus abstraits, j'explore des espaces qui me sont inconnus d'entrée de jeu. Je suis intéressée par cette ligne floue qui sépare d'un côté cet ancien monde des sons, proche du corps et de la nature, et de l'autre, ce monde de fantaisies de l'esprit que permet l'environnement numérique. J'aime réunir la beauté naturelle extrême et l'extrême confusion, la douceur totale et le bruit total. J'aime exploiter cette dichotomie, parce que je viens de ces deux mondes. Je suis à la fois passionnée par les techniques musicales traditionnelles et celles inhérentes à l'univers électronique. »

Y-a-t-il un angle féminin dans son approche?

« Selon moi, les préoccupations d'un compositeur n'ont rien à voir avec le sexe de l'artiste, je ne vois pas pourquoi cela devrait être considéré dans la perception d'une oeuvre. En fait, je ne crois pas qu'une conception féminine de la beauté en musique soit clairement identifiable, c'est-à-dire associée au genre de sa conceptrice. Si certains voient un angle féminin dans leur conception de la beauté musicale, cela relève d'un conditionnement social. Pour moi qui cherche à m'exprimer musicalement au-delà de la nature humaine, cette considération est sans importance. »

>>>Écoutez certaines de ses compositions.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’ARTISTE

Kara-Lis Coverdale

Maayan Nidam (avec Julia König)

Métropolis 2, samedi, 0 h 05

Née en Israël, Maayan Nidam a fait des études en multimédia avant de quitter Tel-Aviv pour parcourir le monde, de New York à Buenos Aires pour finalement poser ses valises à Berlin, où elle vit depuis 14 ans. Avant d'adopter la capitale européenne de l'électro, elle enregistrait professionnellement. À partir de 1990, elle a lancé plusieurs maxis et albums sous différentes étiquettes et divers pseudonymes - Miss Fitz, Laverne Radix, Spunky Brewster, Mara Trax. Depuis 2009, elle enregistre sous sa véritable identité. Ses intérêts musicaux sont multiples, elle passe aisément des traditions méditerranéennes au funk en passant par l'afro-cubain, le krautrock ou le jazz. Cette vaste culture s'exprime dans les cellules rythmiques d'une approche résolument électronique, dominée par la techno et la house. Elle s'amène à Montréal pour y présenter un projet spécial avec l'artiste multimédia Julia König, d'origine berlinoise, qui travaille sur les voix artificielles et qui s'est davantage distinguée dans le monde de la performance.

Leur quête en tant que musiciennes

Julia : « Je m'intéresse à la voix synthétique, plus précisément aux applications de voix artificielle que l'on peut trouver en ligne. J'aime en faire des parodies, des choeurs, des superpositions, etc. Par exemple, je peux parodier un texte publicitaire de chaussures Nike ou encore lire les prévisions de la météo. Très amusant ! »

Maayan : « De mon côté, je joins ma musique à l'approche de Julia en improvisant autour de ses mots avec mes machines. Les deux parties tendent à se fondre l'une dans l'autre alors qu'elles étaient plus distinctes au début de notre démarche. Dans ce contexte, ma musique est plutôt techno, ce style se prête bien au caractère robotique de la voix artificielle. »

Y-a-t-il un angle féminin dans leur approche?

Maayan : « Il m'importe davantage de créer du contenu pertinent, et il me faut rappeler que les femmes musiciennes sont différentes les unes des autres. Il me faut aussi souligner qu'à l'origine, les musiques électroniques ont été mises de l'avant par les communautés gaies et afro-américaines, alors qu'aujourd'hui, c'est beaucoup plus diversifié. Et les femmes font partie de cette diversité. La question du genre est complexe, il est dommage que ce soit encore un enjeu. »

>>>Écoutez certaines de leurs compositions.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’ARTISTE

Maayan Nidam

Julia Kent

Nocturne 5, dimanche, 21 h, Musée d'art contemporain

Native de Vancouver, elle fit des études de violoncelle à l'Université de l'Indiana (Bloomington) pour ensuite s'installer à New York, où elle vit toujours. « Lorsque j'ai réalisé que la musique classique ne me convenait pas, j'ai cherché à m'impliquer dans des projets musicaux me permettant une grande liberté. Je me suis aussi consacrée à l'improvisation. » En 1992, Julia Kent fondait le groupe avant-rock Rasputina avec Melora Creager. En 1999, elle se joignait à la formation Antony and the Johnsons. Depuis quelques années, sa carrière solo a pris une place importante, elle y combine le jeu de violoncelle, l'improvisation et la composition d'environnements électroniques. Cinq enregistrements en témoignent, dont l'album Asperities lancé l'an dernier.

Sa quête en tant que musicienne

« Je viens présenter la musique de mon dernier album, Asperities. Cet album suggère des environnements sonores plus durs, plus crus, moins polis que ceux de mes enregistrements précédents. Cette fois, l'idée de tension m'a davantage séduite que l'idée de raffinement. Vu ma tâche d'instrumentiste en temps réel, les compléments électroniques, les boucles par exemple, sont déclenchés par des logiciels. Devant public, il y a une part d'improvisation, mais je dirais que ma musique est plus structurée qu'improvisée. Ainsi, ce que vous entendez sur disque ressemble à ce que je fais devant public. Cela dit, j'estime être plus à l'aise que jamais avec l'intégration du son électronique à mon jeu au violoncelle. »

Y-a-t-il un angle féminin dans son approche?

« Assurément, il y a quelque chose de distinct entre les femmes et les hommes dans la création musicale. Dans ce milieu, il y a une condition féminine spécifique, j'imagine que cela se reflète dans le jeu des musiciennes et dans leur manière de composer. Par exemple, je crois que les femmes ont moins peur de l'émotion en musique. C'est un processus inconscient mais... au bout du compte, la question du genre n'est pas ce qui m'importe le plus en musique. »

>>>Consultez son site internet (en anglais).

>>>Consultez le site de MUTEK.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L'ARTISTE

Julia Kent