Ça devait être une fête, c'est devenu un débat politique. Après des jours de polémique, le concert que devait donner le rappeur Black M en France, pour le centenaire de la bataille de Verdun, a été annulé pour «risques de troubles à l'ordre public». Il n'en fallait pas plus pour que la gauche et la droite se crêpent le chignon sur fond de questions identitaires. Quatre mots pour comprendre.

Annulation

Jusque-là, tout allait bien. Pour célébrer le 100e anniversaire de la bataille de Verdun, qui a fait 700 000 morts en 1916, les autorités avaient invité le rappeur Black M à se produire le 29 mai devant 4000 jeunes Français et Allemands.

Mais ce choix a contrarié l'extrême droite, qui est montée aux barricades, arguant qu'un artiste comme Black M «n'avait pas sa place» dans un événement dédié à la gloire des anciens combattants. Parmi les raisons invoquées: le rappeur - qui n'est pas un Français de souche - aurait déjà tenu des propos «extrêmement injurieux à l'égard des Français», ayant entre autres décrit la France comme un «pays de kouffars» (terme péjoratif signifiant «mécréant» en arabe) dans la chanson Désolé de son groupe Sexion d'assaut. Des vedettes du Front national - Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philippot en tête - ont exigé l'annulation du concert, sous prétexte que la présence de Black M serait un «crachat aux monuments aux morts».

Cédant sous la pression et les menaces de représailles, la mairie de Verdun a finalement choisi, le 13 mai, de déprogrammer le concert.





Réactions

Discret dans la tourmente, Black M s'est limité à quelques commentaires sur sa page Facebook. Parlant d'une polémique «incompréhensible et inquiétante», le rappeur s'est dit «fier» d'avoir été invité aux commémorations, rappelant qu'en dépit de ses origines guinéennes, il avait été «éduqué par la France» et que son grand-père avait combattu pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale avec le régiment des tirailleurs sénégalais, «ces mêmes tirailleurs sénégalais qui étaient à la bataille de Verdun».

L'affaire a déchaîné les passions dans les médias et surtout chez les politiciens. Depuis vendredi, la gauche française condamne à hauts cris la décision d'annuler le concert, la ministre de la Culture Audrey Azoulay affirmant que cette décision est le fruit d'un «ordre moral nauséabond». À l'opposé, le chef du parti Les Républicains, Nicolas Sarkozy, a affirmé qu'«à l'évidence, ce n'était pas une bonne idée que d'inviter un chanteur pouvant prêter à polémique».

Ménageant la chèvre et le chou, le président François Hollande a dit respecter hier la décision de la mairie de Verdun, mais a promis que l'État «mettrait les moyens pour sécuriser» le concert si elle souhaitait le reprogrammer.



Photo tirée de la page Facebook du rappeur

Réagissant à la controverse, Black M a publié sur Facebook une photo de son grand-père, rappelant qu’il avait combattu pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale avec le régiment des tirailleurs sénégalais.

Nation

Analyste politique, Bruno Cautrès n'est pas surpris par cette récupération politique. Alors que la France se prépare à l'élection présidentielle de 2017, chacun essaie de se positionner sur la question de la mémoire et de l'identité nationale, des thèmes particulièrement chers à la droite et l'extrême droite françaises.

Cette question revient régulièrement dans l'actualité, dit-il, et encore plus depuis les attentats de Paris en novembre dernier. «Est-ce qu'on peut être un exemple pour la jeunesse française quand on est un rappeur, et qu'en même temps on est noir et qu'on remet en cause l'image de la France? Ce sont les questions que soulève cette polémique », résume M. Cautrès. Une polémique qui ne durera pas, croit l'expert. «Il y a des choses plus grosses en ce moment en France dans l'actualité, comme le mouvement Nuit debout, la loi travail El Khomri ou les divisions à l'intérieur du Parti socialiste.»

Sexion

Son vrai nom est Alpha Diallo, mais il se fait appeler Black M: Black pour ses origines africaines et M pour Mesrine, son gangster préféré. Au milieu des années 2000, le rappeur s'est fait connaître au sein de Sexion d'assaut, un groupe politiquement incorrect qui fustigeait autant la France que les «pédés»: sa chanson contre les homos On t'a humilié vaudra d'ailleurs au groupe d'être banni des ondes en 2010 et il devra s'excuser publiquement auprès de la communauté LGBT. 

Repenti et assagi, Black M, 31 ans, fait aujourd'hui cavalier seul. Son dernier album s'est écoulé à 700 000 exemplaires, un succès phénoménal qui lui a justement valu d'être invité aux commémorations de Verdun.

Ironique: la députée du Front national Marion Maréchal-Le Pen, celle-là même qui a réclamé l'annulation de son concert, avait confié en 2015 au magazine Charles être fan autant de Michel Sardou que de... Sexion d'Assaut!