Après avoir formé un millier de jeunes au chant choral - dont Gregory Charles et Émile Proulx-Cloutier - en 38 ans à la tête des Petits Chanteurs du Mont-Royal, leur directeur artistique et musical, Gilbert Patenaude, s'apprête à prendre sa retraite. Retour sur une vie consacrée au chant choral et à la pédagogie.

La cloche sonne. C'est la récréation. Personne ne bronche.

«Sopranos 1!»

«Sopranos 2!»

Par petits groupes, en silence, les enfants sortent de la salle de répétition.

Gilbert Patenaude n'est pas du genre à supporter le relâchement. «Avec mes quatre enfants, à la maison, j'étais plutôt permissif, dit-il, mais avec les Petits Chanteurs, il y a tellement de messes, de concerts et de tournées à préparer qu'il faut être parfaitement efficace. Je n'ai pas une seconde à perdre à faire taire les enfants dans les rangs.

«Personne n'est forcé de devenir Petit Chanteur, poursuit-il. Mais s'ils viennent ici, s'ils veulent fréquenter Bach et Mozart, ils doivent s'attendre à chanter et à travailler beaucoup.»

Ce parti pris pour la discipline n'est pas étranger non plus aux débuts difficiles de M. Patenaude dans l'enseignement. C'était en Abitibi, il était jeune, sans expérience et les jeunes en ont largement profité. «Là-bas, je n'avais aucun contrôle de mes classes. Quand je suis revenu à Montréal et que je suis devenu directeur musical des Petits Chanteurs, j'ai tout de suite su que je voudrais y faire toute ma vie. Je me suis donc dit: "C'est moi ou c'est eux."»

À l'école, aussi bien pour les enfants du primaire (qui fréquentent une école de la Commission scolaire de Montréal située sur le terrain de l'Oratoire) que pour les grands du collège Notre-Dame d'en face, ç'a donc toujours été «M. Patenaude». Et ça valait tout autant pour son fils Laurent à qui il a enseigné. 

«En 1980, mon père avait donné une carte de Noël à tous ses Petits Chanteurs. Sur la mienne, il avait signé "Papa", puis il avait biffé cela pour se corriger aussitôt. "Pardon. M. Patenaude"», se rappelle Laurent Patenaude.

«À ses débuts, mon père jouait souvent au hockey avec les Petits Chanteurs sur la patinoire derrière l'école. Un jour, je suis tombé tête première sur la glace. Je n'avais pas de casque, mais je n'étais que légèrement sonné. Pour une rare fois, aux Petits Chanteurs, M. Patenaude est redevenu mon père, simplement mon père, toutes affaires cessantes!»

«Ça crée une distance avec les enfants d'être strict, dit Gilbert Patenaude, mais en même temps, je n'ai jamais été du style à dire à un élève: "Mon petit chou, t'as mal à la tête aujourd'hui?"», raconte Gilbert Patenaude.

Cette distance ne l'a peut-être pas desservi au moment où ont éclaté les scandales de pédophilie impliquant les pères de Sainte-Croix. «Personne n'a jamais douté de moi.»

La foi

Bien qu'il ait été happé dès sa jeunesse par la musique, Gilbert Patenaude n'a rien ménagé pour s'en échapper. «Je voulais servir et je me disais que de consacrer sa vie à la musique, c'était trop trivial.»

Il a donc fait son noviciat chez les Dominicains. Neuf mois plus tard, il en est sorti en prétextant que ce n'était pas assez exigeant. Il s'est ensuite tourné vers une communauté qu'il qualifie d'extrême, les Petits Frères de Jésus, qui poussaient le dépouillement jusqu'à aller vivre dans le désert. Il y a fait son entrée à la fraternité de Detroit, lors des grosses émeutes des années 60. «Ils n'ont pas voulu me garder. Ils me trouvaient peut-être trop bourgeois.»

M. Patenaude s'est finalement inscrit en service social à l'université. «Mais ceux qui me connaissaient me demandaient ce que je faisais là. J'ai finalement compris et accepté que mon service social, ce serait la musique.»

Au fil des ans, ses Petits Chanteurs se sont bâti une réputation solide. Ils ont chanté à l'Opéra de Montréal dans La bohème, dans Carmen, ils ont enregistré avec Pavarotti («pas spécialement sympathique», admet M. Patenaude en riant), lancé une dizaine de CD, été salués par les critiques les plus difficiles.

C'est bien, tout cela, mais on sent bien que pour M. Patenaude, rien ne vaut les messes à l'Oratoire.

À l'Oratoire, il ne tolère aucun applaudissement. Les enfants et lui-même ne saluent jamais. Une messe, insiste-t-il, ce n'est pas un concert. C'est un service.

Oui, il est profondément croyant. Ses Petits Chanteurs? Plus tellement. «Au fil des décennies, je dirais que c'est la seule chose qui a vraiment changé. Je suis le même avec les élèves, les enfants sont les mêmes avec moi, mais ce qui est très différent, c'est que les enfants ne vont plus à la messe. Je leur explique qu'ils n'ont pas à adhérer. Je ne sais pas qui a fait sa première communion, qui ne l'a pas faite. Je ne pose pas de questions. Par contre, comme les comédiens, ils sont des interprètes. Quand ils chantent, quand ils sont en représentation, il faut que ce soit senti, et cela, qu'ils aient la foi ou non.»

Le dernier concert de M. Patenaude au Québec à titre de directeur musical et artistique aura lieu le 1er mai, au collège Regina Assumpta. Il ne lui restera ensuite que la tournée qu'il effectue chaque année à l'étranger avec ses Petits Chanteurs pour les récompenser pour toutes ces messes, pour tous ces dimanches à l'Oratoire. Cette année, elle se fera dans l'est des États-Unis.

La suite

Ensuite, ce sera la retraite, sans regret. «J'ai eu un cancer l'an dernier. Je m'en suis sorti, mais je ne suis plus le même homme. J'ai pris un coup de vieux.»

Ses Petits Chanteurs, eux, n'y ont vu que du feu. «Parfois, on trouve ça dur de devoir faire autant de messes à l'Oratoire. Dans le temps des Fêtes, même si on se relaie, ça fait beaucoup, dit Félix Rousseau-Giguère. M. Patenaude, lui, il ne manque pas une seule messe [les Petits Chanteurs animent quelque 70 messes par année à l'Oratoire]. Il a vraiment beaucoup d'énergie.»

«J'espère que son successeur continuera à être strict, à nous mettre de la pression, à nous obliger à être disciplinés parce que je n'aimerais pas que les Petits Chanteurs deviennent amateurs. Je veux que nous restions professionnels», lance Jakob Vézina.

Le successeur de M. Patenaude, Andrew Gray, un spécialiste du chant choral qui a beaucoup travaillé auprès des enfants, est donc prévenu: ses futurs élèves ne toléreront aucun relâchement.

Compris?