Pendant que les Oscars se retrouvent sous le feu des critiques pour ne pas suffisamment représenter les minorités, les Grammys devraient célébrer le rappeur Kendrick Lamar et son album très personnel sur les questions raciales.

Lamar est en course pour 11 Grammys lors de la soirée la plus importante de l'année pour l'industrie musicale. C'est le plus grand nombre de nominations jamais affiché par un même artiste sur une seule année à l'exception de Michael Jackson et du mythique album Thriller.L'album To Pimp a Butterfly, le troisième du rappeur de 28 ans, a récolté des louanges unanimes en plus d'être un succès commercial.

Loin des formules faciles, il aligne 80 minutes d'interludes parlés, de rap et d'arrangements jazz par le saxophoniste qui monte Kamasi Washington.

L'un des titres, Alright, est devenu l'hymne non officiel du mouvement protestataire Black Lives Matter. Coécrit par Pharrell Williams, son rythme nonchalant contraste avec des paroles qui évoquent les brutalités policières, en réaffirmant avec vigueur: «Nigga, we gon' be alright».

Un autre titre, How Much a Dollar Cost relate le voyage émotionnel du compositeur-auteur-interprète lorsqu'il a voyagé en Afrique du sud, et décrit son interaction avec un mendiant en qui il a vu une forme d'essence divine.

Le président américain Barack Obama a affirmé que cette chanson était sa préférée de toute l'année 2015.

Après ce voyage en Afrique du Sud, l'artiste, né à Compton, banlieue chaude de Los Angeles et berceau du «gangsta rap», avait eu envie d'écrire un album sur sa relation à la célébrité.

Mais c'est un autre thème qui en est finalement ressorti, dans la foulée du mouvement Black Lives Matter et des manifestations ayant suivi la mort de plusieurs afroaméricains sans armes tués par la police en 2014.

L'illusion de sauver des vies

«Quand on est sur scène et que tous ces gens vous applaudissent, on a vraiment l'impression de sauver des vies», a-t-il expliqué lors d'une entrevue publiée par l'organisation des Grammys.

«Mais on ne sauve pas de vies chez soi. Cela m'a amené à me demander si je suis à la bonne place», a-t-il ajouté.

«Je pense qu'une bonne partie des compliments qu'il a reçus viennent de sa façon sans compromis de raconter l'histoire de l'Amérique noire en 2015», estime Adam Diehl, qui enseigne à l'université d'Augusta en Georgie.

«C'est la première fois qu'il s'éloigne de Compton et qu'il produit quelque chose que chacun dans la communauté afroaméricaine peut écouter et se dire: «Ça me rend fier de venir d'où je viens»», ajoute-t-il.

Le Grammy de l'album de l'année n'est revenu que trois fois par le passé à des disques partiellement ou surtout consacrés au hip-hop - des oeuvres de Quincy Jones, Lauryn Hill et OutKast.

Malgré un nombre de nominations record, Lamar n'est toutefois pas sûr de l'emporter.

To Pimp a Butterfly fait face à 1989, l'album à succès de la mégastar Taylor Swift, ou au Canadien The Weeknd, qui a créé l'événement avec son premier album de R&B, sans oublier le blues-rock d'Alabama Shakes.

Ces nominations sont toutefois déjà en soit une victoire, contrastant particulièrement avec l'industrie du cinéma et sa prestigieuse cérémonie des Oscars.

Les 20 acteurs en course pour l'une des statuettes dorées le 28 février sont tous blancs, ce qui a généré une ardente polémique.

Lamar lui-même s'était retrouvé au centre d'une mini-tempête médiatique il y a deux ans lorsqu'il était déjà nommé pour sept Grammys avec son précédent album mais était ressorti bredouille, alors que les rappeurs blancs Macklemore et Ryan Lewis avaient gagné le prix de l'album rap de l'année.

Ils s'étaient alors excusés, affirmant que Lamar aurait mérité la récompense.

La semaine dernière, la pop-star Beyoncé, d'ordinaire consensuelle, a à son tour fait des vagues avec sa nouvelle chanson et vidéo Formation, la plus politiquement chargée de sa carrière et dénonçant les brutalités policières.

Quant à Macklemore et Ryan Lewis, ils ne sont pas en reste et viennent de sortir une chanson en forme d'hommage à Black Lives Matter: White Privilege II.