Nourri par et à l'ombre de son grand frère en France, le rap belge francophone ouvre une brèche en 2016 dans un marché sur lequel peu d'artistes locaux ont réussi à s'imposer mais où l'explosion des nouvelles technologies et des réseaux sociaux change la donne.

C'est l'hebdomadaire Les Inrocks qui a ouvert la porte: au classement des artistes à suivre en 2016, on trouve un jeune Bruxellois, Hamza.

Il n'a pas encore d'album à son actif mais fait vibrer internet avec son mixtape: 24 titres offerts aux oreilles de la communauté hip hop dans la lignée des Américains Young Thug ou Future. Du bon «son d'Atlanta», un rap planant qui s'impose dans les oreilles depuis plusieurs mois. Dans la veine aussi des Français de P.N.L, groupe inattendu sorti tout droit d'une cité à la mauvaise réputation (Les Tarterêts dans l'Essonne) et qui a bouleversé les palmarès avec son mélange de rap et de chant.

Au sous-sol d'un petit immeuble d'Ixelles, quartier à la fois populaire et branché de la capitale belge, Hamza travaille dans le studio d'un ami et gérant. «Pas vraiment un studio de «ouf» où il y a tout le «matos» mais on a du bon matériel», observe-t-il.

«Rap amical»

À 21 ans, autodidacte, casquette vissée au-dessus des yeux, c'est un rappeur moderne qui enregistre ses mélodies sur son iPhone pour ne pas les oublier, travaille en studio avec son ordinateur, publie sur les réseaux sociaux et construit ainsi son public.

«Avec internet aujourd'hui tu peux faire tout ce que tu veux, avec YouTube, c'est pas très difficile de faire un peu de buzz et que les gens commencent à parler de toi», dit-il.

Hamza explique avoir appris sur les réseaux sociaux - «comme tout le monde!» - que Les Inrocks s'intéressaient à lui.

«J'espère que les gens vont commencer à reconnaître qu'il y a un vrai mouvement - et même pour les Belges: que les Bruxellois commencent à reconnaître qu'il y a de vrais artistes chez eux, qu'il faut les soutenir», confie-t-il.

Mais dans le monde du hip hop belge, dur d'être prophète en son royaume: la Belgique est plutôt réputée pour ses scènes rock et électro.

Percer en France, un des grands marchés mondiaux du rap, est parfois plus accessible que de s'imposer aux 5 millions de francophones qui vivent en Belgique.

«C'est un pays plus conservateur en terme de culture», sourit Alain Lapiower, directeur de Lézarts-Urbains, une structure bruxelloise qui promeut depuis plus de 10 ans le monde du hip hop.

«Il n'y a jamais eu de gros succès belge. Ce qui fait qu'on se la jouait moins ici, c'était un rap plus amical, moins dur. Il y a le tempérament local, une espèce de décalage», explique-t-il.

De Benny B et son succès populaire Vous êtes fou?, à la fin des années 1980, à James Deano (Le fils du commissaire), héraut d'un rap plus léger, quelques Belges sont parvenus à mordre sur le marché du rap francophone.

Aujourd'hui, aux côtés de Hamza, les rappeurs Damso ou Jones Cruipy viennent imposer leur style.

Les deux derniers ont participé à une compilation avec la star française Booba. Damso a même «posé un couplet» sur son dernier album.

Langage universel

Les rappeurs belges enchaînent les collaborations avec leurs voisins français: JeanJass avec Lomepal, Caballero avec Alpha Wann ou Nekfeu.

«La France a un peu tourné en rond, les maisons de disque ont voulu absolument du rap de rue, elles ont commencé à presque créer des acteurs, et plus vraiment des artistes», analyse Mathieu D'Angelon, un ex-rappeur qui vient prêter main forte à Lézarts-Urbains. «Il y a un truc qui s'est perdu et que les Français retrouvent dans le rap belge».

Condamné à émerger de lui-même, le milieu hip hop belge s'est professionnalisé grâce aux nouvelles technologies.

«Chacun peut parler un langage universel», professe Ozhura Miyagi, jeune producteur de Liège.

Depuis sa chambre, derrière son ordinateur et deux enceintes, la notion de frontière n'a plus beaucoup de sens pour lui, qui rêve de travailler avec l'Américain Kanye West.

«Je viens d'une toute petite ville en Belgique. Il faut de la détermination pour montrer qui je suis et m'imposer, et donner un nouveau son de qualité. On travaille peut-être deux fois plus que d'autres, avec deux fois plus d'acharnement, donc fatalement le son change», témoigne ce «beatmaker» de 21 ans.

En digne héritier de sa génération, c'est sur les réseaux sociaux, Twitter, Facebook, Instagram, que Miyagi a bâti sa réputation, jusqu'à fournir des sons pour Booba ou le Canadien Tory Lanez et son succès Diego.

Et 2016 devrait être riche en collaborations avec des artistes reconnus, promet-il.