Ariane Moffatt présentait hier à la Gaîté Lyrique de Paris son spectacle 22h22, inspiré de son cinquième album, dans le cadre de sa tournée française, bousculée par les événements que l'on sait. Propos lucides et francs sur le métier et le partage, qui priment le showbusiness, dans le contexte des attentats.

Ariane Moffatt nous donne rendez-vous dans un restaurant du 3e arrondissement, quelques heures avant son spectacle à la Gaîté lyrique. La veille, elle a enregistré une émission spéciale avec -M- (Matthieu Chédid), son parrain en terre parisienne depuis plus de 10 ans, émission qui sera présentée durant les fêtes de fin d'année.

Deux seules ombres au tableau de cette nouvelle visite chez les cousins. L'absence de ses fils, restés à Montréal avec sa conjointe Florence. «Ils ont deux ans et demi, on ne casse pas trop leur beat. Je suis partie neuf jours en tout seulement», dit-elle, louant les avantages de FaceTime, qui lui permet de les voir, malgré le décalage horaire. L'autre ombre, bien sûr, ce sont les attentats de Paris.

Là-dessus, Ariane Moffat n'a pas voulu se prononcer sur le coup. Elle a un grand malaise à le faire et n'aime pas la couverture médiatique morbide. «Une partie de moi était fâchée, insultée un peu de devoir dire non à une dizaine d'entrevues par rapport à cela, alors que je n'avais rien à ajouter, dit-elle. Me faire demander souvent mon rapport au Bataclan, ce n'est pas si pertinent, en fait. Je suis déchirée entre ce qui est arrivé et la fascination des médias. Je suis vraiment touchée par ceux qui ont perdu un membre de leur famille. Oui, socialement, c'est un moment de crise, mais j'essaie juste de penser à ceux qui ont vécu la perte d'un être cher pour vrai. Ça, ce sont les gens qui sont touchés directement.»

N'empêche, elle est bouleversée. Le Bataclan, lieu le plus meurtrier des tueries du 13 novembre, est pour elle un endroit important dans sa vie. «C'est ma date la plus spéciale, la plus grandiose à Paris en 2009. En octobre, j'étais là pour le dernier show de Fauve, un groupe qui représente ici la jeunesse. J'ai eu une pensée what if? S'il arrivait quelque chose ici? Après Charlie, je pense que nos têtes étaient habitées par cette espèce de conscience que ça peut arriver... »

Mais voilà que faire de la musique, aller à des shows devient encore plus important. «Je suis dans un état de fragilité, de fébrilité... Je me sens très humblement arriver dans un climat où les gens ont vécu un choc effroyable. Mais ça crée une envie de rapprochement pour moi et mes amis musiciens. On s'est regroupés, on a fait des soirées. Moi, tout ce que je peux faire, c'est apporter de la lumière, un sentiment de solidarité, le désir de continuer à faire de la musique, de créer de bons moments. C'est ça que j'essaie d'avoir comme énergie.»

«Quel privilège c'est que d'avoir la créativité, la création pour communiquer, être ensemble! C'est une célébration, un cadeau.» 

Et, oui, elle va chanter Les tireurs fous, une pièce dans laquelle on peut entendre «gardez-moi loin des tireurs fous/c'est tout ce que je demande/gardez-moi loin des tireurs fous/mes enfants me réclament». Écrite bien avant ce qui vient d'arriver. La chanson la plus angoissante de la soirée. «En venant en France, tout ce que j'avais en tête, c'est le moment où j'allais chanter Les tireurs fous dans une salle à Paris. Comment j'allais le vivre? Comment les gens allaient le vivre?» 

Carrière française

Ariane Moffatt est visiblement heureuse de présenter son nouveau spectacle en France, mis en scène par Marie Brassard, celui qui lui semble le plus travaillé, tant sur la forme que sur le fond. Mais elle a les pieds sur terre concernant sa carrière française. Au Québec, elle a eu le sentiment d'avoir été adoptée spontanément par le public. En France, c'est plus difficile, malgré le succès de la chanson Je veux tout. «Je n'ai jamais eu une chanson sur les ondes radiophoniques commerciales, qui donnent un tremplin grand public. Il y a moins d'équilibre ici entre les auteurs-compositeurs-interprètes et la variété pure, équilibre que nous avons au Québec. Je reviens ici parce que j'ai un public, mais je n'ai jamais eu une carrière qui passait par les gros plateaux de télé, comme Coeur de pirate ou comme certains humoristes québécois bien installés.»

Qu'est-ce que l'expérience française lui enseigne? «L'humilité», répond celle qui vient d'être couronnée interprète féminine de l'année à l'ADISQ en éclatant de rire. Mais aussi l'énergie renouvelée de la conquête, celle qui pousse à aller chercher les gens un à un. «Ça me ramène à mon rôle premier, la simple équation d'être un troubadour de la chanson. Le privilège simple, aussi, d'arriver dans une plaque tournante culturelle extrêmement stimulante, de faire le plein de shows, de sortir de Montréal. Il s'agit d'assumer sa proposition, qui est moins soutenue par les médias et un public un peu gagné. Je ne m'accroche pas indéfiniment. Avec la famille, cette route de campagne que j'ai ici, j'ai fait le tour aussi. Je ne vais pas toujours revenir en France si ça ne passe pas à un autre niveau. Mais c'est extrêmement nourrissant.»

De toute façon, il y a Noël en famille qui l'attend, la poursuite de la tournée au Québec, et son retour très attendu à l'émission La voix. Ce ne sont pas les projets qui manquent.

Cinq adresses d'Ariane Moffatt à Paris

1) La place des Vosges

Un lien culte. Dès mes débuts ici, j'avais un appartement dans le coin. Il y a quelque chose d'ostentatoire et de grandiose, mais aussi d'hyper intime, dans ce lieu-là. Une espèce de paix. Comme un point de base architectural de Paris.

2) Le marché des Enfants-Rouges, le plus vieux marché de Paris

Il y a à peu près huit ans, on m'avait demandé de rédiger la Dictée des Amériques pendant que j'habitais en France. J'étais dans le quartier. C'est en arrivant dans ce marché que j'ai décidé que c'était là que ça allait se passer. Avec le lexique des estaminets, des étals, le monde psychologique du marché... C'est un lieu que je trouve beau, moderne, actif, bouillonnant et inspirant. Et pour une gourmande comme moi!

3) La Fondation Louis Vuitton

C'est un bon trajet en métro, mais c'est lieu extraordinaire. Un musée d'art contemporain démesurément immense, conçu par un architecte canadien. Avec ma soeur et ma mère, on s'est organisé un petit dimanche en octobre. Magnifique.

4) La galerie Perrotin, rue de Turenne

Une super galerie d'art que m'a fait découvrir Pierre Lapointe. Le lieu comme le contenu des expos sont toujours tripants.

5) La Gaîté Lyrique, à Paris

Elle me fait penser à la SAT à Montréal. Parce que je sais que ça va être dans les grands moments pour moi à Paris. Mention spéciale au Bataclan. Un lieu extrêmement chaleureux, rassembleur, rock'n'roll. On sent que beaucoup de monde a joué là avant nous quand on y est.

PHOTO ARCHIVES AFP

La place des Vosges