Un lieu mythique de l'enregistrement montréalais arrive au terme de sa deuxième vie. Victime à son tour de la crise de l'enregistrement en cours depuis une quinzaine d'années, le Studio Victor fermera ses portes fin décembre.

De 1985 à 2015, une foule d'artistes ont enregistré au Studio Victor: Marjo, Roch Voisine, Patrick Norman, Rock et Belles Oreilles, Daniel Lavoie, Luba, Ariane Moffatt, Daniel Bélanger, Jean Leloup, Ranee Lee, Oliver Jones, Catherine Durand, etc.

Mais pourquoi donc fermer? L'heure de la retraite aurait-elle sonné pour le président du studio, Gaétan Pilon?

«Je ne suis pas du tout "amanché" pour prendre ma retraite. Ma condition est à l'image de l'industrie de l'enregistrement, des producteurs et des maisons de disques. Ce qu'ils ont perdu avec le déclin amorcé depuis une quinzaine d'années, et encore plus avec l'actuelle crise du streaming, je l'ai aussi perdu. S'ils ne font pas d'argent, ils n'en dépensent pas chez moi.

«Pour les attirer, je dois travailler avec des moyens plus modestes... pendant que le loyer augmente de manière substantielle et que mes coûts d'exploitation grimpent beaucoup plus rapidement que mes revenus.»

«L'édifice appartient à quatre propriétaires. En tant qu'homme d'affaires, je les comprends: ils investissent dans la bâtisse, ils doivent obtenir un juste retour sur leur investissement...»

Une longue histoire

Sis au 1050, rue Lacasse, dans le quartier Saint-Henri, le studio a connu sa première vie de 1942 à 1958. Tous les grands noms de la musique canadienne venaient y enregistrer: Maureen Forrester, Alys Robi, Willie Lamothe, Oscar Peterson, Hank Snow, pour ne nommer que ceux-là. En pleine guerre froide, le studio a fermé ses portes. L'étage de l'édifice où il se trouve fut alors réservé à la recherche aérospatiale.

Encore aujourd'hui, Gaétan Pilon admire les lieux: «C'est une très belle pièce d'architecture, un instrument de musique en soi, une sorte de stradivarius de l'enregistrement. Il avait été conçu par la société américaine RCA Victor, qui cherchait alors à perfectionner le traitement acoustique dans plusieurs studios qu'elle possédait, à Montréal, New York, Los Angeles, Nashville, La Havane, etc. Pour rendre plus intelligibles les prises de son, on y préconisait une technique de diffusion polycylindrique.»

En raison de l'expérience acoustique unique en son genre qu'offrait cette salle, Gaétan Pilon s'y est installé il y a 30 ans.

«J'avais fondé mon premier studio d'enregistrement en 1977 dans le duplex familial [le studio Son Soleil]. En 1985, j'ai fusionné mon entreprise avec les gens déjà installés au 1050, rue Lacasse, qui servait alors aux répétitions musicales. Nous l'avons rebaptisé le Studio Victor. J'en ai conservé la structure originelle, sauf la salle de contrôle.»

Un événement d'adieu

Avant de fermer ses portes pour de bon, Gaétan Pilon invite musiciens et chanteurs à un événement direct-to-disc, prévu du 12 au 18 décembre. Les artistes pourront y enregistrer une chanson. Les séances seront filmées et le produit final, matricé.

«Après ça, je débranche tout et... bye bye, prévoit le propriétaire du Studio Victor. J'ai pris cette décision il y a une semaine, je suis encore sous le choc. Je devrai me départir de certains équipements et reprendre le boulot à plus petite échelle. J'aime travailler dans le son, ce n'est pas demain que je vais arrêter. Ça fait mal, je suis bouleversé... même s'il y a de l'espoir pour la suite des choses. Mes journées sont des montagnes russes d'émotions! Une porte se ferme, peut-être qu'une autre s'ouvrira.»