Toujours actif sur la scène du rock, Bruce Springsteen a un auditoire multigénérationnel. Nos deux journalistes ont découvert Born to Run à 27 ans d'intervalle. Points de vue.

Je suis désolé de te le rappeler aussi candidement, Alain, mais je suis né bien des années après Born to Run.

Dans les années 90, au moment de mon éveil musical, Springsteen était absent des palmarès et le E Street Band n'était plus qu'un souvenir de la génération précédente. Je connaissais le nom Springsteen surtout pour son vieux hit Born in the U.S.A. qui tournait encore de temps à autre sur les ondes.

C'est quand j'ai entendu The Rising à la radio, au début des années 2000, que j'ai véritablement porté attention. Question de remonter le temps, j'ai commencé à acheter d'autres albums du Boss avec mon budget d'étudiant, au gré de ce que je trouvais dans les magasins de CD d'occasion. Jusqu'à Born to Run, en 2005. L'album alors trentenaire m'a soufflé. Sa force, ses images, sa richesse, son unité. L'intro de Backstreets. Les moteurs de Born to Run. La sublime Thunder Road. Et à peu près chaque note de piano de l'album.

C'est par Born to Run que je suis devenu fanatique de Springsteen, presque un monogame musical. J'ai eu d'autres aventures à gauche et à droite, mais elles ne sont restées que des aventures, Alain, je le promets.

Le Boss a envahi mon foyer. J'ai converti ma blonde, même si elle trouve qu'il mâche ses mots, et mes tout jeunes enfants pourraient très bien te tenir une conversation sur cet artiste nommé Blouce Blingsnee.

Le Boss n'a pas toujours sorti des albums aussi percutants et accomplis que Born to Run, loin de là. Mais quand un de ces Working on a Dream survient, je peux toujours revenir aux premières notes de Thunder Road et me laisser transporter jusqu'à l'épopée de Jungleland. Cela me fait presque regretter, Alain, de ne pas avoir vécu cette découverte en même temps que tout le monde, dans les années 70. Je me console en me disant qu'il m'aurait aussi fallu passer à travers l'époque disco.