Si Groenland fait les manchettes parce que Pierre Karl Péladeau aurait voulu que le groupe interprète une chanson en français à l'édition hivernale du Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue (FMEAT), la formation de Sabrina Halde est l'une parmi tant d'autres au Québec à s'exprimer dans la langue de Shakespeare malgré ses racines francophones. État des lieux et rappel de quelques controverses musico-linguistiques.

Qui est Groenland? En avril 2013, nous rencontrons Sabrina Halde et Jean-Vivier Lévesque dans un café du Mile End. Les deux anciens étudiants en musique préparent la sortie du premier album de leur groupe Groenland. Un album en anglais intitulé The Chase.

«Le groupe est un bel espoir de la scène montréalaise, ici comme à l'étranger», écrit-on.

Un an plus tard, en mars 2014, nous contactons Sabrina Halde pour faire le bilan d'une année faste. Il y avait de quoi se réjouir: 18 000 albums vendus à ce moment-là (25 000 aujourd'hui), des spectacles à guichets fermés, une nomination à l'ADISQ pour le Félix du meilleur album anglophone et des chansons choisies par des superviseurs musicaux pour l'émission Les beaux malaises, la série américaine The Good Wife et une publicité de British Airways.

Un exemple parmi tant d'autres

Groenland est loin d'être le seul groupe anglophone du Québec dont les membres sont francophones. Il y a bien entendu Simple Plan, mais aussi les formations We Are Wolves, Duchess Says, Passwords et Solids. Citons aussi Random Recipe, Milk&Bone et Secret Sun - qui figurent tous sur le même label que Groenland, Bonsound.

Plus de portes qu'auparavant s'ouvrent ici aux groupes anglophones de Montréal (dont beaucoup de membres sont francophones). L'été dernier, Pénélope McQuade a accueilli sur son plateau les groupes Will Driving West, Dear Frederic, Plants and Animals et The Franklin Electric.

Originaire de Saint-Hyacinthe, Elliot Maginot, qui lançait son premier album hier au National, chante également en anglais. Bilingues, son site web et son dossier de presse lui ont déjà permis de s'exporter. La semaine dernière, l'hebdomadaire canadien Exclaim! a mis son album en écoute.

Pareil en France

Le phénomène des «Français qui chantent en anglais» s'observe également en France avec Charlotte Gainsbourg, Phoenix, Aaron, Lou Doillon, M83, Daft Punk, Woodkid et la jeune star du moment, Christine and The Queens, qui remplira le Métropolis le 19 février lors de la soirée d'ouverture du festival Montréal en lumière.

En 2007, Le Figaro a publié un article intitulé «Pourquoi ces Français chantent en anglais». La jeune génération, aux goûts plus internationaux, est plus «décomplexée à chanter en anglais», pouvait-on y lire. Aujourd'hui, la scène musicale internationale parle même de la «French touch» qui a su se démarquer à l'international.

Plus d'anglais à la télé et au cinéma

Revenons au Québec. Au cours de la dernière décennie, plus de créateurs ont osé inclure de la musique en anglais dans leurs oeuvres. Pensons à la bande originale du film Horloge biologique (2005), réalisé par Ricardo Trogi, où figurait la mythique chanson de Talk Talk It's My Life, mais aussi des pièces de groupes anglophones de Montréal, dont Poxy et Dee.

Exemple plus récent: le film Mommy de Xavier Dolan, où des titres de Lana Del Rey, Counting Crows, Oasis et Dido côtoient On ne change pas de Céline Dion.

La tendance a même percé les ondes du petit écran. La productrice Fabienne Larouche a tenu à ce que les bandes originales des différentes saisons de sa série Trauma soient en anglais (sauf celle interprétée par Martha Wainwright). Ainsi, Pascale Picard, Ariane Moffatt et Coeur de pirate ont chanté notamment des reprises de Leonard Cohen, R.E.M., Tom Waits, Amy Winehouse et Bon Iver.

Controverses récurrentes

Même la Fête nationale est plus ouverte à la musique en anglais depuis quelques années. En 2009, l'inclusion d'artistes anglophones (Bloodshot Bill et Lake of Stew) dans le spectacle L'Autre Saint-Jean, présenté dans le quartier Rosemont, avait créé une controverse linguistique.

«Que deux groupes anglophones aillent chanter à la Saint-Jean plutôt qu'à la Fête du Canada, je trouve que c'est un geste d'amitié et de respect», avait pour sa part déclaré Guy A. Lepage, qui allait être aux commandes du spectacle du 24 juin au parc Maisonneuve.

Depuis, des artistes anglophones ont fait partie des spectacles du 24 juin.

L'exemple de Pierre Karl Péladeau illustre toutefois que la mise en vitrine de la musique anglophone n'a pas fini de créer des remous au Québec. Il y a deux ans, des spectateurs du parc Maisonneuve ont ressenti un certain malaise quand Daniel Boucher a fait une ode à la musique en français alors qu'il était accompagné du groupe Misteur Valaire (aux chansons essentiellement en anglais).