Avec le groupe IAM, Akhenaton incarne depuis 25 ans un rap français érudit et engagé. Une ligne «contestataire» à laquelle n'entend pas renoncer celui qui a «survécu à différentes périodes où on nous disait que le rap ne serait qu'une mode».

«On a mené ces combats avec des tas d'autres groupes. Certains sont arrivés jusqu'à maintenant, très peu, d'autres sont tombés au combat. Et des nouveaux sont arrivés, le rap est finalement devenu une musique très populaire», déclare à l'AFP le chanteur d'IAM, qui publie lundi un cinquième album solo, Je suis en vie (Def Jam).

Le rap français, qui a pris son envol dans les années 1990 avec NTM, Assassin, MC Solaar ou IAM, a certes bien changé. «Ce qui était mainstream, le rap contestataire, ne l'est plus. Le rap mainstream aujourd'hui est un rap plus pop», remarque Akhenaton, l'un des pseudonymes de Philippe Fragione.

Mais celui qui se fait aussi appeler «Chill» ou «AKH» reste, lui, fidèle à ce «rap alternatif» puisant ses racines dans le blues, le jazz, la soul et garanti sans «vocoder» (appareil permettant de créer des voix synthétiques).

Sur le fond aussi, le Marseillais conserve cette plume grinçante, qui dénonce le règne de l'argent ou le «vide» de la téléréalité mais peut aussi se faire poétique pour décrire les sentiments d'un homme de «46 printemps et le coeur plein de rustines».

Enregistré à toute vitesse (le rappeur n'avait aucun son ni aucun texte en avril dernier), l'album s'inspire notamment de la vie du grand samouraï Musashi Miyamoto racontée dans le livre La pierre et le sabre, d'Eiji Yoshikawa.

«Qu'enfin le bogue vienne»

«C'était un samouraï obsédé par le fait d'installer son nom dans le Japon féodal, d'être payé et d'avoir la renommée. Et un matin, après avoir tué beaucoup d'hommes, il se lève et voit le soleil sur la montagne, une rivière, les arbres bouger et il se dit «Je suis en vie»», explique le rappeur.

«Cette phrase m'a touché. C'est un cheminement que j'ai aussi dû faire dans ma tête, pour moi, c'est la même chose que de dire: je suis attaché à des choses simples, je me contente de peu», ajoute Akhenaton, qui a aussi donné ce titre à l'une des 19 chansons de l'album.

Avec sa plume pour seul sabre, le rappeur samouraï pourfend notamment les réseaux sociaux et autres forums sur internet dont la liberté sans contrôle réduirait, déplore-t-il, les débats à des «clashes» vides de sens en laissant toute la place aux extrémismes de tous bords.

«Quand les débats sont dans les mains des ignorants débiles/Je prie de tout coeur, qu'enfin le bogue vienne», scande-t-il sur le titre Little Brother Is Watching You.

«Je suis pour une réglementation de ce médium-là», tranche-t-il au sujet d'internet. «Comment des phrases où tu risques le pénal à la télévision, dans la presse et à la radio sont-elles tolérées sur le médium numéro un? Il y a un problème», ajoute celui dont des propos récents visant le polémiste Eric Zemmour, accusé d'être «monté sur le cheval du fascisme», ont eux-mêmes suscité de nombreuses réactions sur la toile.

«Comment ces gens-là réussissent-ils à dialoguer avec les plus jeunes, comment arrivent-ils à entrer dans leur tête? C'est internet, ni plus ni moins», assure le rappeur installé dans les quartiers nords de Marseille (sud), dont deux arrondissements ont été remportés par l'extrême droite lors des municipales de mars dernier.

«Les ouvriers sont persuadés que le Front national apportera une solution à leurs problèmes, je pense qu'il apportera surtout une solution aux bibliothèques en épurant les livres qui ne l'intéresse pas», juge l'artiste issu d'une famille communiste et qui, lui, se décrit comme «de gauche».