Vite, vite: où est né Félix Leclerc, le premier chansonnier québécois? Indice: une ville où 99 % des Québécois ne mettront jamais les pieds... La deuxième ville du Québec en superficie... Non? Félix est né à La Tuque, il y a 100 ans aujourd'hui, le 2 août 1914.

Cinq jours après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, sixième enfant - ils en auront 11 - de Fabiola Parrot et de Léonidas Leclerc, commerçant de ce bourg de la Haute-Mauricie situé loin des grands axes. Rien ne disait que «le gars de Léo» allait se rendre à l'université, à Ottawa, avant de devenir animateur de radio, à Québec.

1914... Robert Borden, alors premier ministre du Canada, engage immédiatement le Dominion dans la guerre aux côtés de l'Angleterre, la «mère-patrie». La garnison Valcartier est ouverte au nord de Québec et c'est là que naît le 22e Bataillon, ancêtre du Royal 22e Régiment, première unité francophone de l'Armée canadienne. Après des chicanes linguistiques qui, «drette là», auraient pu amener Félix à composer L'alouette en colère (1973).

Le libéral Lomer Gouin est premier ministre du Québec et le nouveau maire de Montréal, Médéric Martin, promet une enquête sur la corruption avant d'être lui-même mêlé à une histoire de contrats frauduleux. Back to the future... L'hôpital Sainte-Justine ouvre ses portes, de même que l'Ermitage du Collège de Montréal, qui sera longtemps une des meilleures salles de spectacle de la métropole, alors à son apogée économique. Félix y a sûrement déjà chanté, ou joué au théâtre avec les Compagnons de Saint-Laurent.

À l'époque, les Montréalais reçoivent des compagnies d'opéra de Londres et des revues de New York. Avec Watch Your Step, Irving Berlin relance le ragtime, un style de musique dont la champion canadien avait été Jean-Baptiste Lafrenière, pianiste originaire de Maskinongé, un hameau du Chemin du Roy où passe aujourd'hui l'autoroute (40) Félix-Leclerc.

En 1914, la France fredonne Sous les ponts de Paris, mais ici, il n'est pas encore question de chanson. Félix aura 15 ans quand La Bolduc, Mary Travers, chantera la crise. Et il sera dans sa 40e année quand il reviendra de Paris auréolé du prix Charles-Cros pour Moi, mes souliers. «Le gars qui chante avec sa guitare» était devenu la première vedette de la chanson québécoise qui ne portait pas encore son nom.

Qu'en est-il aujourd'hui de la mémoire de Félix Leclerc, mort le 8 août 1988 dans sa maison de l'île d'Orléans où il a passé les 20 dernières années de sa vie? «L'héritage de mon père, je crois, est apprécié et respecté», nous dira Nathalie Leclerc, vice-présidente de la Fondation Félix-Leclerc qui dit avoir beaucoup apprécié le spectacle Félix, je me souviens - Dufresne, Rivard, Perreau, Ouellet, etc. - présenté sur les plaines d'Abraham le mois dernier, en ouverture du Festival d'été de Québec: «C'était très touchant, à la hauteur de l'héritage de mon père, mais je suis mal placée pour juger...»

«Gardienne des sceaux», Nathalie Leclerc avait supervisé la construction de l'Espace Félix-Leclerc de Saint-Pierre d'Orléans, qu'elle dirige toujours et où une nouvelle exposition, La vie, l'amour, la mort, du titre de la chanson, vient de remplacer la première qui avait occupé l'Espace pendant 12 ans.

À l'occasion du 100e anniversaire de naissance du poète, dramaturge et chansonnier, par ailleurs, le sculpteur Daniel St-Martin est en train de poser les derniers mots à une statue de métal représentant Félix assis avec sa guitare... sous un arbre solitaire, côté fleuve. La tête, les mains et les pieds sont pleins, mais le reste du corps est fait des mots de Félix, choisis par sa fille, à l'intérieur desquels pousseront des fleurs. Inauguration le 4 septembre.

Pour rester dans la statuaire, nous avions appris que Mme Leclerc avait refusé le concept du musée Grévin (de Montréal) pour représenter Félix en statue de cire. Pourquoi? «Il avait une chemise carreautée qui faisait trop folklorique à mon goût... Il était aussi entouré de gens avec qui il n'avait aucune affinité. Ces choses auraient pu s'arranger, mais ma mère, mon frère et moi avons conclu que mon père n'aurait pas aimé se voir en statue de cire...»

Nathalie Leclerc, qui est née à Paris, s'apprête à retourner en Europe avec une exposition itinérante sur l'oeuvre et la carrière de son père, expo qui s'arrêtera dans 12 villes de France et de Suisse.

Entre-temps, la Maison Félix-Leclerc de Vaudreuil, qui a été inaugurée en juin - complètement indépendante de la Fondation Félix-Leclerc et de son Espace -, a préparé une programmation spéciale pour souligner l'anniversaire de naissance de celui qui a passé 20 ans (1947-1966) sur les rives du lac des Deux-Montagnes. Dégustation de gâteau, spectacle de chansons, lecture de textes se tiendront aujourd'hui de 15 h à 17 h au 186, chemin de l'Anse, une maison où Félix a écrit bien du théâtre (L'auberge des morts subites) et ses premières grandes chansons, dont Attends-moé, Ti-Gars, peut-être sa critique sociale la plus souriante: «Le plaisir de l'un/C'est d'voir l'autre se casser l'cou-ouhou.»

Radio-Canada, qui a de formidables archives sur Félix, a préparé une programmation spéciale et un site Félix sur icimusique.ca. Dans une émission de variétés du «canal 2» du début des années 60, Félix chante cette chanson avec une dizaine de ses héritiers dont certains sont encore actifs... Mais combien ont chanté «à'a Tuque»?