Il y a des chansons, comme ça, qui vous collent à la peau. Elles ont été écrites les doigts dans le nez. Elles ont été un tube instantané. Elles ne se sont jamais démodées. Et elles resteront pour toujours associées à celui (ou celle) qui les a composées.

Arthur Cossette, par exemple. Voilà un demi-siècle que ce guitariste émérite a composé la pièce Mer Morte. Voilà un demi-siècle qu'il se fait tirer la moustache pour la jouer sur scène. Et voilà un demi-siècle qu'il s'exécute soir après soir, en dépit de son air bougon.

Née d'un éclair d'inspiration, cette pièce instrumentale aux sonorités surf est un des plus grands slows de l'histoire du rock québécois. Elle a été composée à l'été 1964, il y a très précisément 50 ans, alors qu'Arthur Cossette était membre des Jaguars. Paru au mois de septembre, le «single» avait propulsé la formation d'Arvida au sommet des palmarès. L'autre chanson du 45 tours, Supersonic Twist, un rock instrumental endiablé, avait assuré la place d'Arthur au panthéon des guitar heroes québécois.

«On a été no 1, mais on n'a pas fait autant d'argent qu'on aurait dû», souligne le musicien de 69 ans, en caressant sa six-cordes. Des regrets? «Pas vraiment. Tout ce qu'on voulait, nous, c'était faire un disque.»

La toune, raconte Arthur, lui est quasiment venue d'un seul coup, après qu'il s'est procuré une «Échochord». Cette boîte à écho, ancêtre mécanique du «digital delay», lui avait coûté 600$ à l'époque, soit 4600$ en argent d'aujourd'hui! C'est elle, la grande responsable du fameux «son Jaguars», tel qu'entendu sur les deux albums du groupe, parus en 1964 et 1965. Et si le guitariste l'a souvent remplacée par d'autres pédales à effets, il y revient toujours, comme d'autres retournent à d'anciennes maîtresses.

«C'est la même que j'ai depuis 1964, dit-il en nous montrant un gros cube en métal aux allures de génératrice. Je l'ai vraiment maganée. On la transportait dans un sac. On a échappé de la bière dedans. Elle est tombée dans la neige, au fond d'un ravin. Mais elle a toujours fonctionné. Regarde, il y a même les lampes d'origine!»

Des hauts et des bas

Il y a quelque chose de rafraîchissant à entendre Arthur Cossette parler de ses vieilles «bébelles». Malgré ses allures de grand-papa Geppetto, le musicien semble toujours aussi jeune de coeur qu'au temps des Jaguars.

D'ailleurs, pas question pour lui de prendre sa retraite. Alors que la plupart de ses contemporains ont depuis longtemps troqué leurs instruments pour des REER, l'auteur de Mer Morte continue à se produire plus ou moins régulièrement dans le circuit marginal, avec le trio Lyse and the Hot Kitchen.

Dans son cas, parlons de survivance. Car Arthur Cossette aurait pu ne jamais se rendre jusque là.

Après le démantèlement des Jaguars en 1966 - «Les autres ne voyaient pas d'avenir là-dedans, leurs blondes ne voulaient pas» - le guitariste s'est joint au groupe culte psychédélique les Sinners, avec lequel il a fait les 400 coups jusqu'au milieu des années 70.

Il garde de cette époque d'excellents souvenirs, même si les gars ne prenaient pas la musique très au sérieux. «C'était l'abondance dans ce coin-là, dit celui qui a également accompagné Robert Charlebois sur scène. Des fleurs partout, des limousines, des cocktails. Il fallait jouer la rock star. Je l'ai fait.»

Après une période moins glorieuse, les Sinners ont toutefois fini par se séparer, dans l'indifférence à peu près générale. La mode était alors à Beau Dommage et Harmonium, pas aux reliques des années 60. Arthur s'est alors tourné vers la bouteille, avec laquelle il a dansé un long slow vaporeux, complètement déconnecté de la scène musicale. «Je suis allé assez loin là-dedans, confie-t-il. J'étais comme dans un état second. Mais là, ça fait 34 ans que je n'ai pas touché à ça.»

Les années 80 et surtout 90 l'ont heureusement vu renaître de ses cendres. Malgré des problèmes cardiaques qui l'ont tenu à carreau pendant un temps, le guitariste a remonté la pente, lentement mais sûrement, reformant même les Jaguars au milieu des années 90, avec de jeunes musiciens branchés de Montréal. Depuis 2005, il est membre de Lyse and the Hot Kitchen avec lequel il revisite le rock, le surf et le country swing des années 40 à 60, incluant son propre répertoire.

Un disque qui vaut cher

Malgré les passages à vide, Arthur se dit plutôt satisfait de sa carrière. Il n'a peut-être jamais gagné de Félix pour l'ensemble de son oeuvre. Trop marginal. Mais il a gardé sa personnalité, et il est aujourd'hui admiré par une certaine frange d'amateurs de rock, qui voient en lui un personnage important de notre histoire musicale.

«Arthur a été un de nos premiers guitar heroes, c'est certain, résume Sébastien Desrosiers, animateur de l'émission Mondo PQ sur les ondes de CIBL. Son influence a été majeure. C'est un des guitaristes les plus polyvalents qu'on a eus sur la scène québécoise...»

Cette reconnaissance dépasse même nos frontières, puisque les deux albums des Jaguars seraient aujourd'hui recherchés par les collectionneurs du monde entier.

«Le deuxième album du groupe vaut particulièrement cher à l'étranger à cause de la pochette (une pin-up habillée en peau de léopard), explique Sébastien Desrosiers. Même au Québec, il est assez difficile à dénicher. Il y a cinq ans, on le trouvait encore à 10$. Maintenant, il peut se vendre jusqu'à 250$! Mais ce n'est pas seulement la pochette. C'est le son. C'est l'ambiance. Il y a dans ces enregistrements une réverbération qui vibre au coeur. Et qui, à mon avis, va continuer d'être savourée dans le temps.»

«Arthur a laissé sa marque, mais il n'a pas toujours été gâté en compliments, conclut Lyse Dejeuner, chanteuse et batteuse de Lyse and the Hot Kitchen. Mer Morte est le plus beau slow qu'on a eu ici. Mais les Québécois n'ont pas de mémoire pour leurs trésors. Je trouve ça dommage. J'aimerais ça, un jour, que quelqu'un lui offre une belle grosse scène avec un orchestre symphonique. Imagine... Mer Morte avec l'OSM! On peut rêver!»