BiRd-BrAiNs en 2009,  w h o k i l l en 2011, Nikki Nack en 2014. Trois opus aussi joyeux qu'étranges pour le commun des mortels. Le premier fit l'objet d'un rayonnement confidentiel, le second a littéralement explosé sur la planète indie alors que le troisième a consolidé la réputation de tUnE-yArDs, groupe californien fondé par l'effervescente et non moins brillante Merrill Garbus, native de Nouvelle-Angleterre et ex-résidante de Montréal.

On aura l'occasion de le revérifier ce mercredi à La Tulipe, l'heureuse cohabitation du caractère exploratoire de ces musiques et de la joie contagieuse qu'en suscite l'écoute est un phénomène rarissime.

Inutile d'ajouter qu'il s'en passe des affaires dans la caboche de notre interviewée, ce qu'elle confirme lorsque jointe la semaine dernière aux États-Unis:

«Plusieurs choses ont changé depuis w h o k i l l, à commencer par moi-même. L'album précédent avait été l'objet d'une grande attention, je m'étais alors interrogée sur les raisons de ce buzz, au point de me perdre dans une spirale de questionnements sur le public et les médias. De cette réflexion, des idées ont émergé, on peut les trouver sur Nikki Nack.

«Il s'agissait pour moi d'élargir ma palette de manière générale. J'ai voulu améliorer mon chant et mon jeu de percussionniste. Cela me semblait très important car je voulais créer des musiques rythmiquement supérieures, des musiques qui se dansent.»

 tUnE-yArDs, groupe de dance music? Viens danser dans ma cour? Merrill Garbus rit de bon coeur. 

«En fait, je voulais rompre avec les réflexions exagérées concernant l'impact de w h o k i l l. Créer des musiques qui font bouger les gens consistait aussi à en faire oublier les structures. Les chansons de Nikki Nack demeurent complexes, mais je veux éviter les prises de tête. En création, trop de réflexion mène souvent à des excès de sophistication. Je voulais ainsi rester au coeur de ces chansons, je voulais faire en sorte que la complexité ne soit pas apparente. 

«Il ne s'agit pas de berner l'auditeur, nuance-t-elle, mais plutôt de lui offrir une facture plus digeste, plus jouissive, qui mobilise le corps. On est alors mieux disposé à admettre les éléments plus difficiles de ma musique. Tant de musiciens pensent trop aux concepts de leurs albums, chansons ou solos de guitare. Et ils oublient ce qui accroche vraiment l'auditeur, ce qui fait mordre le poisson. Bref ce qui fait la joie et la satisfaction du public.»

Réalisateurs de renom, Malay et John Hill ont été recrutés pour mener à terme la gestation de Nikki Nack, lancé ce printemps sous étiquette 4AD. Que penser de ces collaborations auprès d'un groupe aussi champ gauche que tUnE-yArDs? Assorties?

«Vous savez, rétorque l'interviewée, il y avait un côté expérimental à la pop de Frank Ocean sur l'album Channel Orange, réalisé par Malay. John Hill, lui aussi, a fait des choses plutôt étranges, notamment pour M.I.A. Cela s'est très bien passé avec eux, considérant mes appréhensions - mecs efficaces venus de L.A. pour me dire comment ma musique devrait changer! Bien au contraire, ils furent attentionnés et respectueux. Ils ont voulu servir les chansons qui leur furent proposées. Ce fut une réelle collaboration, une coréalisation équilibrée. Il faut assumer ses choix: ces réalisateurs n'auraient jamais pu faire Nikki Nack sans moi, et cet album n'aurait pas été ce qu'il est sans eux.»

Ainsi, Merril Garbus s'inscrit en faux contre cette idée que plus de moyens et plus de financement mènent invariablement à des productions lisses et prévisibles.

«Je ne cacherai pas m'en être inquiétée pendant un moment car j'avais fait auparavant plusieurs trucs lo-fi. L'argent rend les choses plus faciles, mais cela n'est pas une garantie de succès artistique. Avec une connaissance accrue des pratiques d'enregistrement, par ailleurs, on peut parvenir à des résultats similaires avec un plus modeste budget de production. Cela dit, je ne crois vraiment pas que Nikki Nack soit sans relief. Nous avons utilisé des outils de qualité sans que cela ne rende la proposition... hollywoodienne!»

Toujours heureuse de revenir à Montréal où elle a vécu quelques années avant de migrer vers la côte ouest, elle sait néanmoins à quel public elle a affaire. «J'y suis née artistiquement, c'est normal que les gens y soient plus exigeants à mon endroit. C'est dire que Montréal me manque mais j'aime encore la Bay Area. Je pourrais fort bien revenir un jour dans le nord-est du continent, mais la vie étant ce qu'elle est...» 

La vie étant ce qu'elle est, la tournée Nikki Nack est bien en marche. Au tandem que forme Merrill Garbus (chant, percussion, ukulele) avec Nate Brenner (basse, synthétiseurs) se joignent Jo Lampert et Abigail Nessen-Bengson (chant) ainsi que Dani Markham (percussions).

La musicienne résume le contexte :

«Nate joue la basse et les claviers, les deux chanteurs sont très forts en harmonie, il y a une belle interaction entre l'autre percussionniste et moi-même. Le show précédent fut très agréable à présenter, celui-ci l'est davantage. J'ai le sentiment d'y faire les choses sérieusement, sans me prendre au sérieux. Plus que jamais, l'objectif est d'avoir du plaisir dans le chaos!»

Dans le cadre des Suoni per il Popolo, tUnE-yArDs se produit ce mercredi, 19h30, à La Tulipe. Elle sera précédée de Sylvan Esso.