Il y aura 20 ans demain que Kurt Cobain, chanteur du groupe-culte Nirvana, s'est suicidé à l'âge de 27 ans. Les années ont passé; l'influence de la formation musicale et l'importance de son apport au rock demeurent. Y compris à Montréal, où Nirvana a donné deux spectacles à deux moments charnières de sa courte existence. Mémorial.

En septembre 1991, le genre musical «grunge» n'existe pas encore. L'expression «génération X», elle, est utilisée essentiellement par les sociologues pour désigner les personnes nées entre 1960 et 1981, le fameux roman à succès Generation X de Douglas Coupland ayant été publié six mois auparavant.

Le trio Nirvana est justement composé du chanteur-guitariste Kurt Cobain, 24 ans (né en 1967), du bassiste Krist Novoselic, 26 ans (1965), et du batteur Dave Grohl, 22 ans (1969). Le groupe a un album à son actif, passé complètement inaperçu, mais compte une très bonne réputation en spectacle.

«Parmi les découvertes à faire sur scène cet automne, écrit Alain Brunet dans La Presse en août 1991, on mettra au premier rang le sub-pop de Seattle, une des plus actives tendances de l'heure; le 11 septembre aux Foufounes électriques, le groupe Mudhoney partage le programme avec Superchunk, tandis que Nirvana succédera aux Melvins le 21.»

Le 21 septembre 1991

Le 10 septembre 1991, Nirvana lance le premier extrait de son deuxième album: c'est Smells Like Teen Spirit, qui va bouleverser le rock et dont le clip est en rotation extra-forte partout.

Le 21 septembre, soit trois jours avant la sortie officielle de leur mythique album Nevermind, les musiciens de Nirvana se produisent rue Sainte-Catherine, aux Foufounes électriques.

Aujourd'hui chef recherchiste à l'émission de radio Médium large (Radio-Canada) et auteur, Sylvain Houde est alors DJ et responsable de la promotion aux Foufounes électriques. C'est lui qui accueille les divers groupes, les amène au resto, s'occupe des entrevues avec les médias.

«Nirvana avait des fans, explique Sylvain Houde. Smells Like Teen Spirit jouait déjà vraiment beaucoup, mais la salle n'était pas remplie: il y avait environ 300 personnes», dit-il de la fameuse soirée du 21.

Dans les souvenirs de la journaliste qui signe ces lignes, la mezzanine de la salle était même déserte. Et le spectacle était plus punk que grunge: «C'est vrai, répond Houde. Quoique très mélodique, Nirvana s'inspirait d'un héritage plutôt punk: ses membres jouaient vite, et ils étaient très nihilistes, très «no look», «no future», no «toutte». Un extrait vidéo de ce concert a été affiché récemment sur YouTube.

Dans ce qui tenait lieu de loge aux Foufounes, «on a pu voir des seringues après le show; ce n'était pas un mythe», raconte Sylvain Houde. Bref, il n'y avait pas que de futurs héros dans la place, mais aussi de l'héroïne.

Et tous ceux qui ont vu le show se rappellent l'incroyable fin du spectacle: «J'étais dans le DJ booth, qui surplombait la scène, et je me préparais à mettre de la musique après le concert, explique Houde. Tout à coup, Kurt monte à l'étage, entre dans le booth, me pousse un peu et enjambe la fenêtre pour rejoindre la passerelle qui se trouvait juste au-dessus de la scène. Et de là, Kurt s'est lancé sur Dave Grohl [le batteur]!»

«La batterie s'est complètement effondrée et Dave s'est cogné la tête sur le mur de briques derrière lui, raconte Sylvain Houde. Disons qu'il n'y avait pas de rappel possible après ça! Et c'était prémédité de la part de Kurt; il avait étudié les lieux pendant le test de son», dit Houde en riant.

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Pour la petite histoire, soulignons que le batteur Dave Grohl est d'abord repassé par Montréal en 1992, pour assister au spectacle de U2 au Forum. Grohl était surtout venu pour voir ses amis du groupe Pixies, qui se produisaient en première partie. Ce soir-là, pour la seule et unique fois de toute la tournée, le batteur de U2, Larry Mullen, s'est rendu dans la loge des Pixies!

Le 2 novembre 1993

Alors que Nirvana est devenu l'un des groupes les plus populaires du monde et que la vague grunge est à son zénith, on annonce le passage de la formation de Seattle à l'Auditorium de Verdun, le 2 novembre 1993: les billets sont à 20$ plus taxes.

Vice-président programmation et production chez Spectra, Laurent Saulnier était alors chef de la section Musique à l'hebdomadaire Voir. «Les billets pour le spectacle s'étaient vendus en, peut- être, trois minutes et quart, se souvient-il. Pour moi, c'était le fun que le show ait lieu à Verdun: à l'époque, tous les grungeux jouaient à Verdun; Pearl Jam s'y était produit en août.»

«Du show de Nirvana, reprend-il, je garde le souvenir d'une prestation magnifique. C'est vrai, Kurt Cobain n'avait pas dit un mot à la foule. Mais on savait tous qu'il n'allait pas bien, qu'il était obsédé par les maladies, qu'il avait de sérieux problèmes psychologiques; ce n'était un secret pour personne, tous les médias en parlaient. Et puis, il faut se remettre dans le contexte de l'époque: tous les bands consommaient, et ce n'était pas des poteux, ils prenaient du stock pas mal plus fort.»

Le fait de voir Cobain replié sur sa guitare, dans sa bulle, ne surprend donc pas Laurent Saulnier. «L'important, c'est que Nirvana a joué tout ce qu'il fallait jouer, ce soir-là; il n'a pas eu peur de jouer les succès. C'est, pour moi, une des rares soirées parfaites de musique auxquelles j'ai assisté. En compagnie d'un public très jeune.»

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Le critique de La Presse Alain Brunet ira dans le même sens: «Ce premier concert de Nirvana dans un amphithéâtre de taille m'est apparu étonnamment rodé. [...] Aussi grunge soient-ils, ces artistes importants proposent des mélodies prenantes, une poésie ciselée, un langage déjà mûr. Authentique chanteur à texte, qui sait embraser la douceur, Cobain mise ainsi sur des enveloppes sonores pour le moins décapantes.» (La Presse, 3 novembre 1993)

Étrange coïncidence: ce même 2 novembre 1993, en fin de soirée, dans un petit bar montréalais enfumé du boulevard Saint-Laurent, se produit un autre groupe qui allait lui aussi devenir marquant. Il s'appelait Radiohead.

Le 5 avril 1994

«Il reste à savoir si nous avons assisté à un tour de chant grunge ou à un happening rock», a conclu Alain Brunet dans sa critique publiée dans La Presse du 3 novembre 1993. C'était en fait un concert d'adieu: au début du mois de mars 1994, Kurt Cobain sombre d'abord dans le coma après avoir mélangé alcool et barbituriques. Le 5 avril, Cobain se tire une balle dans la tête, non loin de sa boîte de seringues, comme l'ont démontré de récentes photos. Nirvana est passé. La musique demeure.

Photo: archives La Presse

Le billet du concert de Nirvana à l'Auditorium de Verdun, le 2 novembre 1993.