Galt MacDermot. Ce drôle de nom ne vous dit sans doute pas grand-chose. Et pourtant. La musique de ce Montréalais a fait plus d'une fois le tour de la planète, que ce soit grâce à la comédie musicale HairLet the sunshiiiine...!») ou aux artistes de hip-hop, qui l'ont «samplé» à profusion. À 85 ans, le monsieur est toujours bien en vie. Alors qu'une maison d'édition montréalaise vient de mettre la main sur son précieux catalogue, nous l'avons retrouvé et lui avons parlé.

En 1967, Galt MacDermot avait déjà presque 40 ans. Il était marié, père de quatre enfants. Et il avait des cheveux très courts. Ça ne l'a pas empêché de s'acoquiner avec une bande de hippies et d'écrire, pour la comédie musicale Hair, des chansons aussi célèbres qu'Aquarius et Let the Sunshine In. Mais la carrière de ce pianiste et compositeur anglo-québécois ne s'arrête pas là. Certains le considèrent comme un pionnier du funk. Et les rappeurs l'adorent - ce qui n'est pas vraiment réciproque. Entrevue téléphonique.

Q : Alors, comme ça, le compositeur de Hair est un Montréalais?

R : Oui. Je suis né à Montréal et j'y ai vécu au moins 15 ans. Jusqu'à 4 ans d'abord. Puis de 14 à 16 ans. Et enfin, de 20 à 30 ans. C'est là que j'ai appris mon métier. Je jouais de l'orgue à l'église baptiste de Westmount. Et du piano le soir, dans les cabarets. Les années 50. Une belle époque pour le nightlife.

Q : Comment êtes-vous devenu musicien?

R : À 14 ans, j'ai découvert Duke Ellington. Ça m'a décoiffé. À partir de ce moment, j'ai su que je voulais en faire un métier. J'ai suivi des cours à l'Université Bishop's, à Sherbrooke, et j'ai appris les arrangements avec Neil Chotem, qui était très doué dans ce domaine.

Q : Certains vous voient comme un pionnier du funk. Vous n'êtes pas particulièrement noir. Où avez-vous appris l'art du groove?

R : Quand mon père jouait du piano, il jouait comme ça. C'était un Irlandais de la Jamaïque. J'imagine que ça l'avait influencé. J'ai aussi étudié en Afrique du Sud, où j'ai vécu quelques années avec mes parents. Les rythmes africains m'ont marqué.

Q : Vous avez quitté le Canada au début des années 60, pourquoi?

R : J'avais fait le tour. Je voulais explorer autre chose. Quand Johnny Dankworth a popularisé une de mes compos en Angleterre (African Waltz), je suis allé à Londres. Cannonball Adderley a aussi repris le morceau avec succès aux États-Unis. En 1965, j'ai abouti à New York. Je voulais faire du rock'n'roll.

Q : De là, comment vous êtes-vous retrouvé à Broadway, à écrire pour la comédie musicale Hair?

R : Ils avaient les paroles, mais pas de musique. Ils avaient besoin d'un compositeur. Un éditeur m'a mis en contact avec les deux auteurs, James Rado et Jerome Ragni. J'ai tout de suite aimé. Les paroles n'étaient pas du tout vieux jeu. Ça m'a inspiré.

Q : Et comment! La production est devenue un classique. Et ses chansons encore plus. Comment avez-vous créé Let the Sunshine In?

R : Ça ne m'est pas venu si facilement. C'était un long texte. Je ne savais pas comment l'aborder. J'ai dû faire un peu de recherche. Je suis retourné à des vieilles partitions que j'avais écrites. Il y avait quelques idées dedans que j'aimais bien. Elles étaient incomplètes, mais il y avait le feeling. J'ai travaillé à partir de ça.

Q : Sentiez-vous que cette chanson aurait un aussi grand succès?

R : Je savais qu'il fallait quelque chose de fort pour la fin du spectacle. Alors j'ai conçu la chanson comme un crescendo. C'est exactement ce que je voulais. Il faut dire que les paroles m'avaient donné la direction.

Q : Après Hair, qu'avez-vous fait?

R : J'ai composé pour trois autres comédies musicales, dont Two Gentlemen of Verona, qui a bien marché. J'ai eu des offres pour des musiques de films. Ça ne m'intéressait pas plus que ça. J'ai continué à écrire. J'ai préféré faire des concerts avec mon groupe.

Q : Dans les années 80, des musiciens de hip-hop ont commencé à échantillonner vos morceaux. Ça vous a fait plaisir?

R : Sans plus. Je trouve le rap un peu ennuyant. Ils prennent quatre mesures et les répètent sans arrêt. S'il y a une bonne voix par-dessus, ça va. Mais je trouve ça un peu limité.

Q : Ils vous ont fait faire de l'argent, au moins...

R : Parfois oui, parfois non. Même avec un contrat, ils ne payaient pas toujours...

Q : C'est drôle, quand même. Tout le monde ou presque connaît les chansons de Hair. Comment expliquer que vous ne soyez pas plus connu du grand public?

R : Je n'ai pas travaillé sur ma promotion. Ça ne m'intéressait pas. Et puis, on ne m'a pas souvent proposé d'entrevues [rires]. Les gens aiment surtout les performers. Moi, je suis un compositeur. Et heureux de l'être.

Q : Heureux et éclectique. Vous avez touché à tous les genres. Rock, jazz, funk, trames sonores... Comment voulez-vous qu'on se souvienne de vous?

R : Je n'ai jamais pensé à ça... Je peux vous dire que le rythme est ce qui compte le plus pour moi, que ce soit du calypso, du rock ou de la musique africaine. Mais si on me demande quel genre de musique je fais, je répondrai instinctivement: de la musique pop...

Pillé par le hip-hop

Ne cherchez pas les vieux albums de Galt MacDermot. Ils sont rares, et certains valent une fortune sur le marché des collectionneurs.

«C'est le genre d'article pour lequel on se battrait dans un magasin de disques», résume Jeff Waye, propriétaire de Third Side Music, l'entreprise d'édition montréalaise qui gère et exploite le catalogue du vieux Galt.

Cette rareté a une raison: depuis la fin des années 80, les vieux enregistrements de MacDermot sont extrêmement populaires auprès des artistes de hip-hop, qui les échantillonnent à qui mieux mieux.

De Busta Rhymes (Woo Hah!) à Snoop Doggy Dogg (Loosen' Control) en passant par Handsome Boy Modeling School (The Truth), Gang Starr (Werdz from the Ghetto Child), Naughty by Nature (Written on ya Kitten) ou Run DMC (Down with the King), ils sont des dizaines à avoir pillé l'oeuvre du musicien canadien.

Pourquoi cet intérêt? Les «breaks», les «grooves» et les «beats», bien sûr, qu'on trouve à profusion dans les albums de MacDermot.

«Les producteurs les plus fins disent qu'il faisait du funk avant l'heure, souligne le journaliste français Mathieu Rochet, auteur d'un documentaire complet sur les rappeurs qui ont échantillonné MacDermot (Looking4Galt). Quand vous écoutez un morceau comme Coffee Cold, tu l'entends. Ça cogne comme aucun autre disque fait en 1966.»

Il faut savoir que MacDermot s'est toujours entouré des meilleurs musiciens noirs, même s'il était un pur blanc de Montréal. Parmi ceux-ci, on retiendra surtout Wilbur Gascomb à la basse et Bernard Purdie à la batterie, deux références pour les amateurs de jazz et de funk. Purdie a notamment accompagné Aretha Franklin, et tous deux ont joué pour James Brown. Leur complicité, qui dure depuis les années 60, est indissociable du «son» MacDermot, si prisé par les artistes de rap.

«Il y a dans sa musique tout ce que les rappeurs aiment, ajoute Rochet. Le rythme, les gimmicks et deux trois notes qui peuvent être jouées en boucle. Il n'a pas été aussi samplé que James Brown, mais en termes d'influence, c'est égal, parce qu'il a été samplé par les meilleurs...»

Une boîte montréalaise dans les ligues majeures

Lorsque Vince MacDermot est entré dans les bureaux de la boîte montréalaise Third Side Music, l'an dernier, Jeff Waye n'en a pas cru ses oreilles. Le fils du compositeur venait lui proposer de «gérer» le catalogue de son père, soit environ 40 albums et 850 chansons.

«C'est une mine d'or absolue, souligne Waye, vice-président de Third Side Music. Je n'aurais jamais pensé que ça nous tomberait un jour dans les mains. C'est le genre d'héritage qui appartient généralement à de grosses compagnies et elles ne veulent pas s'en départir.»

Jeff Waye a eu un sacré coup de chance. Mais ce ne fut pas le seul. Juste avant Noël, son entreprise a mis la main sur un autre catalogue mythique, soit celui du label de reggae Studio One/Jam Rec, qui cherchait une nouvelle entreprise pour administrer sa musique.

Pour Waye, un immense fan de reggae, c'était comme tomber sur le saint Graal. «Ils voulaient quelqu'un qui comprenne le catalogue, raconte-t-il, encore fier de son coup. Je leur ai envoyé une photo de moi dans les locaux de studio One à Kingston. Ç'a scellé le deal

Le Motown de la Jamaïque

Pour ceux et celles qui ne le sauraient pas, Studio One est un peu le Motown de la Jamaïque. Cette étiquette, fondée dans les années 60 par l'influent producteur Clement Coxone Dodd, compte dans son catalogue des artistes de ska, de reggae, de dub et de rock steady aussi importants que Jackie Mittoo, Marcia Griffith, Burning Spear, The Heptones, Horace Andy, Sugar Minott, Lee Perry, Johnny Osbourne et les Wailers d'avant la grande gloire de Bob Marley. Tout cela pour un joyeux total de 228 albums et 4500 chansons. Autant dire un monstre.

Spécialisée en copyright et en administration, Third Side Music aura pour mandat d'élargir la portée de ce monumental catalogue en le «plaçant» dans des films, des émissions de télé, des publicités et même des jeux vidéo.

La boîte collaborera également à la réédition officielle de tous les albums originaux de Studio One. Jusqu'ici, les chansons de Studio One n'étaient ressorties que de façon fragmentaire, sous forme de compilations.

Née de la cuisse du label anglais Ninja Tune, l'entreprise montréalaise exploitait déjà les éditions d'artistes récents comme Colin Stetson, DJ Champion, Suuns, Amon Tobin, Cinematic Orchestra et Jay Retard. Ses «placements» musicaux se sont retrouvés dans des pubs de Guinness, de Nike, de Mercedes, dans le jeu vidéo Grand Theft Auto et le film 12 Years a Slave.

Mais avec MacDermot et Studio One, elle vient d'entrer pour de bon dans les ligues majeures.