Loin des grands airs d'opéra ou des lieder, la célèbre cantatrice Barbara Hendricks s'est plongée avec délectation dans la musique américaine à Nantes, dans l'ouest de la France, s'imposant en parfaite «blueswoman».

Dans le récital présenté à Nantes, qui a déjà conquis à Montreux en 2013 les puristes du jazz, c'est la rage et le désespoir du coeur du blues qui semblent animer l'élégante sexagénaire lorsqu'elle défie de la voix les riffs de guitare électrique de l'un de ses musiciens.

«C'est le deuxième programme de blues que je fais depuis cinq ans. Je voulais juste connaître un peu cette musique pour aller plus profondément dans le jazz. Mais je suis restée avec le blues, quelque part», admet-elle, assise très simplement, incognito, à la cafeteria de son hôtel à Nantes. «Et oui, peut-être que je suis en train de devenir blueswoman», ajoute-t-elle avec un large sourire, visiblement fière.

Et elle raconte.

Ses nouveaux «débuts», il y a vingt ans, dans cette musique qu'elle n'avait jusque-là jamais pratiquée même dans sa jeunesse en Arkansas, lors d'un hommage en 1994 à Duke Ellington au festival de Montreux, déjà.

Son perfectionnisme, le même qui lui avait permis de dominer le répertoire classique depuis ses débuts en 1974, qui la pousse à rechercher, même pour cette première, un public de jazz, exigeant, pas nécessairement acquis à sa personne.

Mais au delà de l'exploration musicale, le blues fait aussi écho à l'engagement profond d'une femme combattante qui, depuis près de trente ans associe son nom aux grandes crises humanitaires qu'elle met en lumière comme ambassadrice du Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU. Et qui s'applique à donner de la voix aux causes les moins médiatiques. «On a l'embarras du choix, malheureusement».

Dans un français parfait, après l'interprétation intense et poignante de Strange Fruit de Billie Holliday, qui évoque les lynchages des Noirs au début du XXe siècle, Barbara déclare au public du festival nantais de la Folle Journée, conquis: «J'ai marché contre l'intolérance, j'ai marché contre l'injustice et j'ai surtout, marché contre la connerie...».

Deuxième génération

Mais les pieds sur terre, humble, elle tient à mettre les choses au point.

Non, elle n'a pas fait partie de la première génération de cantatrices noires, de la deuxième seulement. Et non, elle ne se prend pas pour Billie Holliday.

«Billie Holliday habitait cette époque de lynchage, adulte. Elle a fait une carrière où elle ne pouvait pas aller dans les hôtels quand elle était en tournée avec des musiciens blancs. Moi j'ai été témoin de beaucoup, enfant, quand la lutte pour les droits civiques a commencé, mais adulte, j'ai eu une autre réalité que le racisme», estime l'artiste.

«Bon, mais même aujourd'hui, à New York, l'expérience que les taxis ne s'arrêtent pas pour moi... je sais. Quand je suis avec mon mari (qui est Suédois, ndlr), je le laisse chercher le taxi, moi, je reste sur le trottoir», ajoute-t-elle toutefois.

«Il y a peut-être des gens qui ne m'ont pas engagée parce qu'ils ne voulaient pas une Noire, mais d'autres l'ont fait juste parce qu'ils voulaient montrer que la couleur de la peau n'était pas important...», souligne-t-elle.

Et elle raconte, avec tendresse, cette conférence de presse du réalisateur italien Luigi Comencini qui l'avait choisie en 1988 pour le rôle titre de «Mimi», dans son film La Bohème. «Quand ils ont dit: «Mais vous avez choisi une Mimi noire?», il a dit: «Ah, elle est noire? J'ai pas remarqué...».»

La nouvelle «blueswoman» tient à rassurer les fans de la soprano: «Je continue de chanter la musique classique: mon prochain concert après la Folle journée c'est un récital à Montréal avec Brahms, Fauré...».