Âgé de 71 ans, Lewis Allan «Lou» Reed est parti faire une balade «on the wild side», dont il ne reviendra plus.

Sa mort a été annoncée hier, dans un premier temps sur le site internet du magazine spécialisé Rolling Stone, puis confirmé par l'agent de l'icône rock au quotidien britannique The Guardian ainsi qu'au New York Times.

Laurie Anderson, grande artiste de la performance que Lou Reed a épousée en 2008, avait déclaré publiquement que son mari ne se remettrait pas totalement d'une greffe de foie subie au printemps dernier, mais qu'il reprendrait ses activités dans quelques mois. À cause de cette délicate intervention chirurgicale dont les complications subséquentes lui ont été fatales, le chanteur avait (évidemment) dû annuler une série de concerts en avril, dont deux au fameux festival Coachella en Californie. À l'évidence, cette greffe n'aura prolongé que très brièvement l'existence du vétéran.

La consommation de drogues dures et d'alcool aura finalement eu raison du vieux Lou, même après de longues années d'assagissement.

Légende du rock

Fin des années 60, rappellent ses multiples profils biographiques, il fut d'abord chanteur, guitariste et principal auteur-compositeur du très influent Velvet Underground, dont le manager était nul autre que l'artiste visuel Andy Warhol. Du côté du Velvet, des titres se sont avérés pérennes, notamment White Light/White Heat ou I'm Waiting for the Man. L'influence de ce groupe art rock fut considérable, même si les ventes de disques ne le furent pas au départ: interviewé en 1982 par la journaliste Kristine McKenna pour le magazine Musician, Brian Eno rappelait que le premier album du Velvet ne s'était écoulé qu'à 30 000 exemplaires, mais que... tous ses acheteurs avaient ensuite fondé un groupe!

Son mythe n'a cessé de se renforcer au cours d'une carrière solo amorcée en 1972. On lui doit moult classiques de la culture rock: Walk on the Wild Side, Satellite of Love, Berlin, Vicious, Wild Child, Shooting Star, I Love You Suzanne, pour ne nommer que ceux-là. Son aura n'a cessé de briller au fil des décennies, bien au-delà de ses albums les mieux connus dans années 70 - le premier sans titre, Transformer, Berlin, Coney Island Baby. Des années 80, on retient entre autres New Sensations et New York. Des années 90, on n'oubliera certes pas Magic and Loss. Des 2000, Ecstasy. On en passe, bien évidemment.

Si la charpente de ses chansons rock fut toujours simple, leur habillage s'avéra maintes fois raffiné, audacieux, exceptionnel. On ne s'étonnera pas que son aura ait éclairé tout le spectre rock, de la mouvance punk à David Bowie, sans compter les milieux d'avant-garde fréquentés par le New-Yorkais.

Timbre singulier

Sur scène, Lou Reed n'avait pas l'attitude athlétique des grands performers rock, sa voix n'était pas puissante, son chant n'était pas toujours juste. Sa personnalité artistique n'en a pas moins profondément marqué l'imaginaire. Le timbre de son organe vocal, la singularité de son phrasé et le ton de ses interventions faisaient oublier ses carences techniques, a-t-on noté lors de ses concerts montréalais.

Et que dire de son arrogance: pour les journalistes (dont l'auteur de ces lignes), il fut l'un des artistes les plus intimidants à interviewer, de surcroît l'un des plus désagréables. Quoi qu'il en fût, ses qualités d'artiste l'ont emporté largement sur ces considérations. Son talent supérieur de songwriter, brillant chroniqueur du côté sombre, fut le fondement de sa notoriété; ambiguïté sexuelle, voyages au bout de la nuit, cynisme existentiel, paradis artificiels, maladie, mort et autres déclinaisons de la décadence furent parmi ses thèmes de prédilection. Thèmes qui se sont relativement adoucis avec l'âge, force est d'observer.

Les dernières interventions de Lou Reed ne furent pas les plus remarquables. À Montréal, en 2010, il avait offert un concert de musique improvisée aux côtés de sa compagne Laurie Anderson et du saxophoniste et grand compositeur John Zorn. Plusieurs étaient venus pour Lou Reed, le mythe, et non pour une séance d'impro avant-gardiste dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal, confusion au bout du compte... À la fin d'octobre 2011, Lou Reed lançait un album aux côtés de Metallica; les chansons de Lulu s'inspiraient de deux pièces du dramaturge allemand Frank Wedekind et... récoltèrent des critiques majoritairement négatives ou mitigées.

En route vers le «wild side», des anges rapportent qu'il doit faire escale au paradis. On l'imagine s'apprêter à foutre le bordel en ce haut lieu de la vie éternelle... qu'il risque de trouver ennuyeux.