Il ne pourrait pas chanter Infidèle de Claude Dubois. Parce qu'il affirme qu'il n'est pas très bon pour chanter les chansons des autres et parce que, en amitié comme en musique, Vincent Vallières préfère la constance. Fabriquer l'aube, son nouveau disque, mise sur ce qu'il fait de mieux: des textes taillés dans une langue simple et couchés sur un habile folk-rock à l'américaine.

Des gens qui ont réponse à tout, on en trouve partout. Il suffit de leur demander quelque chose, n'importe quoi, et les voilà qui s'élancent. Ce n'est pas le cas de Vincent Vallières. Lui, il ne fait pas semblant. La phrase qu'il a répétée le plus souvent lors de sa rencontre avec La Presse, en début de semaine, c'est d'ailleurs: «Je n'ai pas de réponse à ça...» Il n'était même pas désolé, juste honnête.

Vincent Vallières a pourtant l'habitude des questions. Pas seulement celles des journalistes: il s'en pose lui-même beaucoup. Surtout au moment de présenter un disque. Fabriquer l'aube, son premier album depuis le succès populaire de sa chanson On va s'aimer encore, paraît mardi, et on devine qu'il doute encore un peu des choix artistiques qu'il a faits.

«Ça me tiraille systématiquement», avoue-t-il, lorsqu'on l'interroge sur la constance de sa direction artistique. L'auteur-compositeur-interprète de 35 ans propose depuis ses débuts des chansons tantôt rock, tantôt folk, qui vibrent de ce que le Québec a de plus américain. Or, à chaque nouveau disque, il se demande si le temps n'est pas venu de tout revirer à l'envers, de faire différemment. Invariablement, un autre point d'interrogation s'allume dans sa tête: pourquoi devrait-on faire différemment, justement?

Séguin a déjà expliqué la facture de ses disques en disant qu'on ne demande pas à un pommier de faire autre chose que des pommes. Vincent Vallières, lui, se remet en question. Jusqu'ici, son instinct lui dit qu'il doit poursuivre dans la même voie. Avec, pour l'essentiel, les mêmes musiciens. «Pour ce que j'ai envie d'exprimer, ce sont les meilleurs», dit-il de Simon Blouin (batterie), Michel-Olivier Gasse (basse) et André Papanicolaou (guitare). Et ce folk-rock teinté de country est le meilleur son? «Je pense que oui», tranche-t-il.

Ondes positives

Stone, lancée au début de l'été, met de l'avant la résonance typée d'une guitare Rickenbacker, un son associé autant aux Byrds qu'à Tom Petty et ses Heartbreakers, et est portée par une pulsion de légèreté. Fabriquer l'aube n'est pas toujours aussi ensoleillé, mais il est vrai qu'il est marqué par une envie forte, mais pas du tout jovialiste, de créer des ondes positives.

Sa chanson Avec toi résume très bien cet état d'esprit. «J'ai peur pour toi, j'ai peur pour moi, j'ai peur pour nos enfants/Mais je veux croire que le jour qui se lève apportera peut-être son lot de trésors/Va donc savoir», y chante-t-il, d'un ton à la fois engagé et nonchalant. Regarder le monde en face, soit; s'y résigner, c'est une autre affaire...

«Ce désir-là d'apporter du positif, c'est une forme d'instinct de survie et de respect pour mes proches, pour mes enfants. Je ne peux pas me permettre de croire que la société dans laquelle je vis, c'est juste d'la marde. Ce n'est pas vrai. Et je n'ai pas envie de chanter pendant deux ans que tout est noir et que rien n'est possible, ajoute Vincent Vallières. Ça ne m'intéresse pas pantoute.»

C'est l'artiste ou le père de famille qui parle? «Je ne sais pas trop... Les deux, en fait, croit-il. Je sens aussi, à force d'être sur la route, que ça fait du bien d'avoir du fun. Ça fait du bien de s'amuser.» Ça fait du bien de faire du bien aux gens? «Peut-être, oui.» Et c'est pourquoi, parmi ses chansons sensibles, où il creuse nos tourments quotidiens de la plume concrète et adroite qu'on lui connaît déjà, il s'offre toujours des décharges plus rock où il se défoule. Pas à vendre, dans ce cas-ci.

«Je fais vraiment ce que je veux», affirme l'artiste en appuyant sur les mots. Il peut être très rock un soir, lors d'un spectacle extérieur, et partir le lendemain tout seul avec sa guitare. Sa musique lui permet cette liberté. Ce qui compte pour lui, c'est que ses chansons se rendent aux gens. «Il y a peut-être même une certaine prétention à vouloir faire de la musique qui touche les gens partout au Québec», croit-il.

Vincent Vallières n'est pas du genre à se péter les bretelles. Il se dit d'ailleurs conscient de ses limites, comme chanteur notamment. «J'essaie de voir mes limites comme des avantages. On est à une époque où ça crie beaucoup, alors je me dis que, parfois, juste dire les choses, ça peut suffire. Sans aucune prétention, que les gens sentent que l'interprète comprend son propos, c'est aussi important que la puissance de la voix...»

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Un chanteur et ses guitares

Sa toute première guitare était une Norman B-15, qu'il a laissée à la première fille qu'il a quittée... Vincent Vallières possède aujourd'hui une Taylor «toute poquée», achetée avec son argent de poche à la fin du secondaire, une Boucher, une Boutin, une Pellerin et une quinzaine d'autres six cordes. «C'est la faute à mon pusher de guitare», explique-t-il, parlant de son ami (et guitariste) André Papanicolaou. En avoir autant l'angoisse un peu. «Un instrument qui ne joue pas, c'est triste», dit-il. Les siennes jouent toutes, précise-t-il, même si elles n'ont pas toutes la même vocation. En voici trois qu'on entend sur son nouveau disque.

Gibson J-45 Sunburst

Classique du catalogue Gibson, la J-45 est l'une des plus récentes acquisitions de Vincent Vallières. Il l'a commandée il y a deux ans et l'a reçue il y a environ douze mois seulement. Un délai attribuable entre autres au fait que l'auteur-compositeur est gaucher. «Pour capter une prestation acoustique, c'est vraiment le top à mon goût à moi, dit-il. Les fréquences rentrent parfaitement au mixage.» On l'entend très bien sur ses chansons Fermont et Asbestos.

Guild

Sa vieille Guild à 12 cordes occupe une place spéciale dans sa collection: c'est Richard Séguin qui la lui a offerte il y a trois ans après un spectacle aux FrancoFolies. «C'est la guitare avec laquelle il a enregistré Fiori-Séguin. C'est une pièce de notre patrimoine», signale Vincent Vallières avec respect. Il l'a fait transformer par son luthier pour en faire une guitare de gaucher et espère lui trouver une place dans son prochain spectacle. Il utilise cette Guild pour la première fois sur disque, sur L'amour c'est pas pour les peureux (guitare rythmique).

Rickenbacker

Vincent Vallières n'est pas certain du numéro de modèle de cette Rickenbacker qu'André Papanicolaou lui a dénichée dans un sous-sol de Longueuil - il s'agit probablement d'une 330. «Pour le genre de musique que je fais, le son de cette guitare-là est parfait. C'est le son de Mike Campbell, de Tom Petty, des Beatles et des Byrds, rappelle-t-il. Ce que je fais est ancré dans cette espèce de tradition-là.» Sa Rickenbacker rouge, Vincent Vallières l'utilisera beaucoup sur scène et on peut l'entendre dans sa chanson Stone, lancée au début de l'été.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse