Les rockeurs punks sont habitués à attirer l'attention, mais cette fois cela n'est pas dû uniquement à leurs cheveux roses, leurs vestes de cuir ou leurs tatouages de crânes: ces jeunes rebelles n'hésitent pas à dénoncer les moines bouddhistes qui incitent à la violence contre les musulmans, alors que le reste de la société birmane garde le silence.

«S'ils étaient de vrais moines, je ne dirais rien, mais ce n'est pas le cas», a dit Kyaw Kyaw, le chanteur du groupe Rebel Riot, pendant que son batteur reprenait le rythme d'une nouvelle chanson qui dénonce l'hypocrisie religieuse et un mouvement antimusulman baptisé 969.

«Ce sont des nationalistes, des fascites. Personne ne veut l'entendre, mais c'est vrai», a-t-il ajouté.

Les moines radicaux se trouvent au premier rang d'une campagne sanglante lancée contre les musulmans, et rares sont ceux qui acceptent de les dénoncer au sein de cette société de 60 millions d'habitants principalement bouddhistes. Pour plusieurs, le bouddhisme est une composante fondamentale de leur identité birmane et les moines, les membres les plus vénérables de la société, sont au dessus de tout reproche.

D'autres refusent tout simplement de se rendre à l'évidence ou croient ceux qui racontent que les «étrangers» musulmans représentent une menace à leur culture et à leurs traditions.

Ce silence est aussi dangereux que les foules qui détruisent des mosquées ou qui applaudissent pendant que les musulmans sont pourchassés et battus à mort, a dit Michael Salberg, le directeur des affaires internationales pour la Ligue antidéfamation, un organisme américain.

«Ce ne sont pas les auteurs de ces crimes qui posent problème, a-t-il affirmé, en évoquant les conditions qui ont mené à l'Holocauste en Allemagne ou au génocide rwandais. Ce sont les témoins qui ne font rien.»

Après un demi-siècle de règne militaire impitoyable, un gouvernement quasi-civil arrivé au pouvoir il y a deux ans a mis en place de vastes réformes, libérant la dissidente Aung San Suu Kyi de son assignation à domicile, relâchant les restrictions contre les rassemblements pacifiques, libéralisant les médias et abolissant la censure.

Ces mêmes libertés ont permis à des moines comme Wirathu, un orateur charismatique partisan de 969, de se faire entendre. Il récolte de plus en plus d'adeptes alors qu'il traverse le pays pour appeler à un boycott des commerces musulmans, pour demander une interdiction des mariages entre musulmans et bouddhistes et pour prévenir que les musulmans pourraient bientôt représenter la majorité en Birmanie - même s'ils ne forment actuellement que 4 pour cent de la population.

«Tout ce que je peux dire, c'est que les gens devraient étudier les enseignements du Bouddha et se demander, est-ce que c'est ce qu'il voulait dire?», a lancé Ye Ngew Soe, le chanteur de 27 ans de No U Turn, le groupe de punk rock le plus populaire du pays.

Il a écrit la chanson Human Wars quand la violence dont faisaient l'objet les musulmans rohingya dans l'État de Rakhine a commencé à se propager ailleurs au pays. «Quand je visite des régions urbaines, j'entends parler de 969, de haine contre les musulmans, de violence. Ça ne devrait pas se passer comme ça», a-t-il dit.

Rares sont ceux qui osent dénoncer la situation. Le président Thein Sein a interdit la distribution au pays d'une copie du magazine Time qui présentait Wirathu comme «le visage de la terreur bouddhiste». Il a ensuite émis un communiqué dans lequel il déclare son appui à 969 et affirme considérer le moine extrémiste comme «un fils du seigneur Bouddha».

Pour sa part, l'opposante Aung San Suu Kyi se fait discrète à l'approche des élections de 2015, par crainte qu'elle ne soit punie lors du scrutin si elle est perçue comme étant antibouddhiste.

Il ne reste donc que les rockeurs punks, qui sont familiers avec l'isolement et la persécution. Sous le régime militaire, ils ne pouvaient que chanter en privé ou loin des regards. Pendant que les menaces d'arrestation ou d'incarcération en réduisaient plus d'un au silence, ils dénonçaient les exactions de l'armée et demandaient pourquoi des hommes d'affaires bien branchés s'enrichissaient pendant que tous les autres souffraient.

Ils ont aujourd'hui un nouveau champ de bataille, celui de la persécution religieuse.

Kyaw Kyaw, de Rebel Riot, se plait à dire que s'il ne peut pas changer le monde, ou la Birmanie, ou même Rangoon, il peut au moins avoir une influence sur ceux autour de lui.

«Ils peuvent nous arrêter, on s'en fout, a dit le jeune homme de 26 ans, le fils d'un policier. Ou nous pouvons être attaqués par certains groupes. On s'en fout, nous sommes prêts à affronter cette mentalité. Mais nous voulons dire ce que nous pensons.»