Par moment, on pouvait y entendre du Led Zeppelin, Whole Lotta Love à tue-tête. Ou encore observer des personnages nus dansant dans du cellophane. Ou un band sorti de nulle part, avec guitare hurlante et masques de loups. Ou était-ce tout simplement des monstres poilus? Il y avait un autel pour faire des offrandes. Des sacs cadeaux....

Drôle de performance?

Totalement. Surtout qu'il ne s'agissait pas d'un spectacle, mais plutôt d'un repas. Un événement expérimental gastronomique ambulant appelé Gelinaz, dont le premier épisode s'est éclaté, il y a une semaine, à Gand, dans les Flandres, en Belgique.

Au menu de cette soirée hors norme mijotée par le journaliste et organisateur d'événements franco-italien Andrea Petrini: 26 chefs venus de partout, de Melbourne à Lima en passant par San Francisco et les Flandres, évidemment. Des chefs dont les noms sont dans tous les palmarès mondiaux. René Redzepi du Noma de Copenhague. Eneko Atxa, nouveau triple étoilé Michelin espagnol. L'Italien Massimo Bottura, quatrième sur la fameuse liste des 50 meilleures tables au monde publiée par le magazine Restaurant. Magnus Nilsson, chef culte de Suède, Virgilio Martinez de Lima. L'ultime chef français Iñaki Aizpitarte. Et la liste continue.

Tous ensemble devaient préparer un repas qui n'en était pas vraiment un. C'était plutôt une soirée spectacle, avec danseurs, musique, etc. Et des plats déclinant tous un classique belge, une timbale au poulet aux petits légumes en gelée signée Philippe Édouard Cauderlier, l'idée étant de la réinterpréter de la façon la plus imaginative possible.

Pour présenter ce plat point de départ, des Amazoniennes masquées en culotte et seins nus ressemblant à des poulets ont défilé dans une salle de congrès transformée à moitié en salle à manger et à moitié en cuisine géante vitrée où les chefs dressaient les premiers plats. Le ton était donné.

«Ce qui est intéressant avec de tels événements, c'est l'amplitude de l'expérience», explique Emilia Terragni, directrice éditoriale à la maison d'édition londonienne Phaidon, une des 72 convives-spectateurs qui assistaient au dîner.

On mange, bien sûr, mais il y a aussi la mise en scène des plats, la musique et le spectacle des chefs qui cuisinent. On peut les voir, les observer, même leur poser des questions. Certains ont payé jusqu'à 900 euros pour la soirée complète - les places étaient vendues aux enchères - d'autres, une centaine d'euros pour assister à une portion de la soirée.

Et puis, les plats n'ont rien de traditionnel. Le chef italien Davide Scabin, par exemple, a préparé une création appelée «Six degrés de séparation» où six bouchées, dont une royale de poulet servie dans un verre à martini, cherchaient à recréer en séquences l'effet final de la timbale de Cauderlier. Il fallait se lever et aller chercher les différents éléments du puzzle.

Le chef franco-argentin Mauro Colagreco, lui, a présenté une tête et des pattes de poulet en offrande, accompagné de danseurs enfermés dans des sacs en plastique transparents comme les poulets au supermarché. Redzepi a choisi de faire des chips avec de l'écume de bouillon... De jeunes chefs flamands se sont mis ensemble pour préparer un «underdoggie bag», sorte de pique-nique à rapporter à la maison avec tous les ingrédients du plat...

Tout était éclaté dans cette soirée. La musique - chaque chef devait présenter son assiette sur un fond sonore. Le rythme. Le concept. Petrini s'est inspiré des DJ qui coupent et remixent et relancent et réinventent les chansons populaires classiques. Mais tout autant, explique-t-il, que des artistes comme le compositeur John Cage, qui ont joué avec la notion de répétition. L'exercice, dit-il, a aussi comme objectif de nous faire réfléchir sur la notion de propriété intellectuelle.

La rencontre de la gastronomie et du spectacle ne date pas d'hier. Les fameux vastes banquets grecs et romains n'étaient-ils pas des combinaisons de nourriture, danse, musique? Mais il est clair qu'il y a actuellement une recherche dans cette direction.

Les chefs du nouveau meilleur restaurant au monde, le Celler de Can Roca, viennent par exemple de créer El Somni, un opéra gastronomique à Barcelone, ville où le chef Albert Adrià combine plats et musiques à son restaurant 41 grados.

À Paris ouvrira le 17 octobre une grande exposition gastronomique à l'école des Beaux Arts appelée Cookbook l'Expo.

Et toute la cuisine avant-gardiste intègre effets spectacles et interactivité, en commençant par les folles expériences multisensorielles du chef Paul Pairet à son restaurant Ultraviolet à Shanghai.

Classique réinventé

«C'est une tendance qui revient régulièrement dans l'histoire de la gastronomie», note le journaliste gastronomique suédois Mattias Kroon. Mais n'est-ce pas justement le message de Gelinaz? Tout classique peut être réinventé.

Le prochain repas spectacle aura lieu à Lima en septembre. On y réinterprètera un plat du grand chef péruvien Gaston Acurio. Suivra une performance à New York.

À suivre.